Le Qatar en difficulté dans le Golfe ?

Se saisissant du prétexte Qaradaoui les états du Golfe en profitent pour essayer de contraindre le Qatar à se rapprocher de leurs positions. Pour autant le Qatar est-il en difficulté ? Et si le vrai problème était ailleurs ?

Le prédicateur Qaradaoui est le prétexte idéal

Après 15 jours de silence Youssef Qaradaoui s’attire cette fois-ci les foudres de l’Arabie saoudite. Après les Emirats Arabes Unis, et l’Egypte, l’Arabie saoudite est lasse des provocations du célèbre prédicateur de 87 ans qui manie avec une certaine aisance les cameras d’Al Jazeera. Depuis Doha celui-ci distribue les bons points mais ils sont rares et surtout il menace des foudres de Dieu tous ceux qui ne pensent pas comme lui. L’habitude voir l’amusement ont laissé place à l’agacement et aujourd’hui au ras le bol.

Les attaques des pays du Golfe ne portent plus seulement contre le prédicateur mais aussi contre l’ancien  émir Hamad qui l’a accueilli et le laisse s’exprimer. Pourtant Qaradaoui ne se renouvelle pas alors pourquoi cet énervement, maintenant, de la plupart des pays du Golfe contre le Qatar ?

Les sujets de divergences ne manquent pas : l’Egypte, la Syrie, les frères musulmans, mais aussi le changement de braqué en matière d’armement, ou les modifications du droit local en tenant compte de la coupe du monde 2022. L’Arabie saoudite n’accepte pas l’arrogance de cet état confetti. Malgré la visite du nouvel émir Tamim en Arabie saoudite pour son premier voyage international et l’avancement sur quelques dossiers techniques les pierres d’achoppements s’accumulent.

Le souhait de l’ensemble des pays du Golfe c’est un retour du Qatar au rôle qu’il avait avant l’arrivée de l’émir Hamad en 1995, c’est-à-dire un pays à peine connu au niveau de la planète jouant au médiateur. Ceci est totalement exclu pour le Qatar qui veut rajouter à son « soft power » une certaine dose de « hard power ».

L’émir Tamim a plus d’ambitions que son père

Comme nous l’indiquions récemment, croire que Tamim rentrera dans sa coquille pour imiter son grand père est une mauvaise analyse. Il a hérité du coté coléreux de son grand père, de l’ambition de son père Hamad et de l’imagination de sa mère Scheikha Moza. Il ne faut pas oublier son âge 34 ans bientôt. Le vrai rêve de Tamim est d’être Tamim « Le Grand ».

Imaginer limiter les désirs d’un monarque absolu c’est ne rien comprendre au caractère de de ce monarque. Voilà un homme qui ne partage le pouvoir avec personne et surtout pas avec sa femme. Il tolère des gens autour de lui à conditions qu’ils aillent dans son sens. Celui qui le connaît bien est le premier ministre Abdallah ben Nasser ben Khalifa Al-Thani. C’est un homme qui a mis quand même près de 6 mois pour commencer à exister, même si en ce moment il monte en charge de partout.

Tamim et Abdallah Nasser prennent possession du royaume du Qatar et vont dans les mois à venir mettre la touche finale à l’organisation d’un gouvernement « resserré » et renforcer le Diwan, cabinet de l’émir lieu où tout se décide. Même l’émir Hamad et sa femme Moza auront intérêt à être prudent avec Tamim. Mais le danger ne vient pas de là.

Selon la loi qatarie c’est le premier fils qui doit succéder à l’émir

Né en le 2 juillet 1972 Mishaal Al Thani est le premier des enfants mâles de l’émir Hamad. Sa mère est Sheikha Mariam, première femme de l’émir Hamad. La loi qatarie est claire c’est le premier enfant mâle qui doit devenir l’émir. La passation se fait ainsi car cet enfant au moment de la passation de pouvoir à l’âge et la maturité pour diriger et surtout en principe à un prince héritier qui permet en cas de malheur, décès de l’émir, de le remplacer continuant ainsi la monarchie. Mishaal Al Thani a 6 enfants dont trois garçons ».

C’est dans le livre de Christian Chesnot et  Georges Malbrunot « Qatar les secrets du coffre-fort » que nous trouvons un début de réponse. « Soucieux d’éviter les écueils du passé, l’émir apporte un soin particulier à préparer sa succession, quitte à modifier l’ordre de transmission du pouvoir à ses enfants.

Il a changé la donne une première fois à la fin des années 1980, parce que Mishaal, l’aîné qu’il a eu avec sa première épouse, ne manifestait aucun appétit pour le pouvoir suprême. Celui-ci renonça donc au titre de prince héritier. » «  Les candidats malheureux au trône n’ont pas eu à se plaindre : chacun a été gratifié d’un « fromage » qui convenait à son rang. Mishaal, qui adore les séjours en Floride, est devenu en 2008 le président de l’Association arabe d’équitation, après s’être marié avec une Yéménite dont de nombreux membres de son clan ont été enrôlés dans les forces de sécurité Qatariennes

En fait Mishaal s’est trouvé dans l’obligation de faire un choix entre 14 et 18 ans. On lui a demandé s’il pouvait à terme remplacer son père ? Il avait face à lui son père Hamad et sa nouvelle femme Moza qui a semble-t-il beaucoup pesée dans cette histoire. Quelle est la vérité, personne ne le saura, il y a des secrets de famille qui ne s’étalent pas aux grands jours.

Mais d’évidence le choix de Tamim pose le problème de la nomination d’un « jeune émir » qui en cas de malheur n’a pas de successeur, son premier fils étant trop jeune.  L’émir Hamad a pris un risque important en dérangeant le déroulement historique.  Il faut souhaiter longue vie à l’émir Tamim.

L’émir Tamim peut-il confier une partie de sa sécurité à des gardes Yéménites fidèles à Mishaal alors que celui-ci pourrait réclamer  maintenant son royaume. Il pourrait dans ce cas être soutenu par l’Arabie saoudite à condition d’un changement profond de politique.

Le Qatar peut-il se fâcher avec l’Arabie saoudite ?

En tout cas l’émir Tamim fait le nécessaire pour pouvoir rapprocher les deux pays pendant quelques temps encore. René Naba dans un de ces articles parle de « Rien ne va plus entre le Qatar et les autres pétromonarchies du Golfe ». Le prétexte de Qaradaoui, les divergences de vues sur de nombreux dossiers et la « modestie dans les mots » pas dans les actes confirme certes les propos de Naba. Mais pour autant l’essentiel n’est pas dit, car le vrai problème est l’intensification de l’armement et de l’armée qatarie.

Le Dryan ministre de la défense française a bien compris l’enjeu, il n’est que peu sensible aux « miettes » de l’Arabie saoudite ramenées par le président Hollande. Pour l’instant il préfère  placer ses Rafales qui sont non seulement un enjeu économique mais aussi l’élan dont a besoin le Rafale pour décoller. Les stratèges de l’Arabie saoudite savent pertinemment que si demain le Qatar s’équipe de 72 Rafales ou équivalent plus personne ne sera à l’abri dans le Golfe même pas eux. La mise en place d’un service obligatoire pour venir renforcer une armée à 98 % composée de mercenaires n’est pas là pour arranger les choses.

Le seul adversaire sérieux du Qatar est l’Arabie saoudite. La façon de se comporter des saoudiens envers les qataris, estimant que Doha est une des provinces du royaume saoudien est mal vécu par les qataris. Lorsqu’ils viennent en masse passer leur vacances au Qatar les saoudiens se sentent un peu chez eux. Les 200 chars Léopard 2 dont se dote le Qatar en trois vagues seront amassés sur la frontière avec l’Arabie saoudite, ils pourront m’explique-t-on le cas échéant tenir quelques heures pour permettre aux avions de faire le reste.

Tamim et une grosse partie de son gouvernement ont une formation militaire. La couverture américaine avec la base d’al- Udeïd même si elle n’est pas très fiable représente une dissuasion pour ceux qui pourraient attaquer le Qatar. Dans le contrat de vente des Rafales, s’il se réalise, les qataris demanderont une protection supplémentaire par la France bien au-delà de ce qui existe.

Le contrat de l’achat des avions de guerre devrait s’accélérer ainsi que la livraison des chars et des matériels navals. Les tensions vont augmenter mais il est trop tard pour que le Qatar revienne à son rôle des années 1990. Tamim aspire plus à être « un grand dirigeant » qu’une marionnette des autres pays du Golfe.