Le nucléaire français en perte de compétences généralisée

Le rapport au Président Directeur Général d’EDF sur la construction de l’EPR de Flamanville par Jean-Martin FOLZ, en octobre 2019, montrait déjà les insuffisances dramatiques auxquelles le secteur nucléaire français doit faire face.

Une perte de compétences généralisée

Extrait du rapport sur la construction de l’EPR de Flamanville par Jean-Martin FOLZ, en octobre 2019.

Pour les centrales nucléaires les plus récemment construites en France, celles du palier N4 , les débuts de chantier remontent à janvier 1984 pour la première (Chooz B1) et à avril 1991 pour la dernière (Civaux 2) , soit respectivement 24 et 16 ans avant Flamanville ; dans la même période , aucune construction de nouveau réacteur n’a été lancée en Europe jusqu’à la commande finlandaise de la fin de 2003 .

Dans ce contexte , et en dépit de l’activité induite par la maintenance et les visites décennales du parc existant , il n’est pas surprenant de constater une perte de compétence certaine de la plupart des acteurs concernés , tant du fait du départ en retraite de spécialistes confirmés que du défaut d’entretien des expertises et savoir-faire inutilisés .

Chez EDF d’abord, les capacités de maîtrise d’œuvre d’un grand projet ont été pour le moins érodées ainsi qu’en témoignent les errements des premières années de la construction de l’EPR ; le même constat peut être fait sur l’aptitude à gérer un très gros chantier et sur la compétence technique des bureaux d’études ; ces derniers paraissent dans plusieurs cas s’être coupés des réalités du monde industriel en émettant des spécifications irréalisables ou en tombant dans les excès de l’over-engineering.

Chez les industriels fabricants de composants , les pertes de compétences nucléaires sont d’autant plus fortes que ce secteur d’activité a vu sa place dans ses plans de charge très fortement diminuer voire disparaître . La relance des activités nucléaires aura été d’autant plus difficile que l’évolution de la réglementation , en particulier pour la qualification des matériels , s’avèrera apporter une charge nouvelle et pesante . Mention particulière doit être faite des usines de Framatome et en particulier de celle de Chalon Saint-Marcel dont la longue période de sous-activité aura entraîné une profonde dégradation du savoir-faire malheureusement illustrée par une désolante succession d’incidents majeurs .

Perte de compétence également , et dans quelques rares cas aussi perte de conscience professionnelle , chez les organismes et entités chargés du contrôle , trop souvent dépassés par les lourdes tâches administratives qu’imposent les procédures nucléaires et perdant de vue l’importance du suivi technique rapproché des opérations manuelles .

Dans le même ordre d’idées il faut aussi mentionner de trop nombreux défauts de perspicacité , sans doute liés à l’inexpérience ou à la pression du calendrier , qui amènent à sous-estimer des signaux faibles annonciateurs de difficultés à venir ou à ne pas discerner l’importance de certaines informations ou situations pourtant lourdes de conséquences potentielles .

Ce sombre inventaire des pertes de compétence ne saurait s’achever sans réserver une mention spéciale à la faiblesse des ressources et talents en technique et réalisation de soudage . Qu’il s’agisse de soudures « classiques » , mais essentielles , comme celles des consoles du pont polaire ou de soudures « nucléaires » (soudage des adaptateurs du couvercle de cuve , des lignes primaires aux générateurs de vapeur , des mécanismes de commande de grappes , des tuyauteries du circuit secondaire principal ,…) les très nombreux incidents et malfaçons observés illustrent tant un certain manque de compétence des entreprises concernées que de vraies pénuries de soudeurs qualifiés.