Des parcours pour se retrouver

En bien des endroits dans le monde, des parcours de paix qui conduisent à la cicatrisation des blessures sont nécessaires. Il faut des artisans de paix disposés à élaborer, avec intelligence et audace, des processus pour guérir et pour se retrouver. Chapitre 7, sous chapitres 225 à 270 de l’encyclique du Pape François, Fratelli tutti.

Repartir de la vérité

Se retrouver ne signifie pas retourner à un moment antérieur aux conflits. Nous avons tous changé avec le temps. La souffrance et les affrontements nous ont transformés. Par ailleurs, il n’y a plus de place pour les diplomaties vides, pour les faux-semblants, pour le double langage, pour les dissimulations, les bonnes manières qui cachent la réalité. Ceux qui se sont durement affrontés doivent dialoguer à partir de la vérité, claire et nue. Ils ont besoin d’apprendre à cultiver la mémoire pénitentielle, capable d’assumer le passé pour libérer l’avenir de ses insatisfactions, confusions et projections. Ce n’est qu’à partir de la vérité historique des faits qu’ils pourront faire l’effort, persévérant et prolongé, de se comprendre mutuellement et de tenter une nouvelle synthèse pour le bien de tous.

La réalité, c’est que « le processus de paix est un engagement qui dure dans le temps. C’est un travail patient de recherche de la vérité et de la justice qui honore la mémoire des victimes et qui ouvre, pas à pas, à une espérance commune plus forte que la vengeance ».

Comme l’ont dit les évêques du Congo au sujet d’un conflit qui se répète, « des accords de paix sur le papier ne suffiront pas. Il faudra aller plus loin, en intégrant l’exigence de vérité sur les origines de cette crise récurrente. Le peuple a le droit de savoir ce qui s’est passé ».

En effet, « la vérité est une compagne indissociable de la justice et de la miséricorde. Toutes les trois sont essentielles pour construire la paix et, d’autre part, chacune d’elle empêche que les autres soient altérées. […] La vérité ne doit pas, de fait, conduire à la vengeance, mais bien plutôt à la réconciliation et au pardon. La vérité, c’est dire aux familles déchirées par la douleur ce qui est arrivé à leurs parents disparus. La vérité, c’est avouer ce qui s’est passé avec les plus jeunes enrôlés par les acteurs violents. La vérité, c’est reconnaître la souffrance des femmes victimes de violence et d’abus.

[…] Chaque violence commise contre un être humain est une blessure dans la chair de l’humanité ; chaque mort violente nous diminue en tant que personnes. […] La violence engendre la violence, la haine engendre plus de  haine et la mort plus de mort. Nous devons briser cette chaîne qui paraît inéluctable ».

Architecture et artisanat de la paix

Le cheminement vers la paix n’implique pas l’homogénéisation de la société ; il nous permet par contre de travailler ensemble. Il peut unir un grand nombre de personnes en vue de recherches communes où tous sont gagnants. Face à un objectif commun déterminé, il est possible d’apporter diverses propositions techniques, différentes expériences et de travailler au bien commun. Il faut essayer de bien identifier les problèmes que traverse une société pour accepter qu’il existe diverses façons de voir les difficultés et de les résoudre.

Le chemin vers une meilleure cohabitation implique toujours que soit reconnue la possibilité que l’autre fasse découvrir une perspective légitime, au moins en partie, quelque chose qui peut être pris en compte, même quand il s’est trompé ou a mal agi. En effet, « l’autre ne doit jamais être enfermé dans ce qu’il a pu dire ou faire, mais il doit être considéré selon la promesse qu’il porte en lui », promesse qui laisse toujours une lueur d’espérance.

Comme l’ont enseigné les évêques sud-africains, la vraie réconciliation s’obtient de manière proactive, « en créant une nouvelle société fondée sur le service des autres plus que sur le désir de domination, une société fondée sur le partage avec les autres de ce que l’on possède plus que sur la lutte égoïste de chacun pour accumuler le plus de richesse possible ; une société dans laquelle la valeur d’être ensemble en tant qu’êtres humains prime incontestablement sur l’appartenance à tout autre groupe plus restreint, que ce soit la famille, la nation, la race ou la culture ».

Les évêques de la Corée du Sud ont signalé qu’une véritable paix « ne peut être obtenue que si nous luttons pour la justice à travers le dialogue, en recherchant la réconciliation et la croissance mutuelle ».

Le difficile effort de dépasser ce qui nous divise sans perdre l’identité personnelle suppose qu’un sentiment fondamental d’appartenance demeure vivant en chacun. En effet, « notre société gagne quand chaque personne, chaque groupe social, se sent vraiment à la maison. Dans une famille, les parents, les grands-parents, les enfants sont de la maison ; personne n’est exclu. Si l’un d’eux a une difficulté, même grave, bien qu’il l’ait cherchée, les autres vont à son secours, le soutiennent ; sa douleur est partagée par tous. […] Dans les familles, tous contribuent au projet commun, tous travaillent pour le bien commun, mais sans annihiler chaque membre ; au contraire, ils le soutiennent, ils le promeuvent. Ils se querellent, mais il y a quelque chose qui ne change pas : ce lien familial. Les querelles de famille donnent lieu par la suite à des réconciliations. Les joies et les peines de chacun sont assumées par tous. Ça oui c’est être famille !

Si nous pouvions réussir à voir l’adversaire politique ou le voisin de maison du même œil que nos enfants, nos épouses, époux, nos pères ou nos mères, que ce serait bien ! Aimons-nous notre société ou bien continue-t-elle d’être quelque chose de lointain, quelque chose d’anonyme, qui ne nous implique pas, que nous ne portons en nous, qui ne nous engage pas ? ».

Bien souvent, il est fort nécessaire de négocier et par ce biais de développer des processus concrets pour la paix. Mais les processus efficaces d’une paix durable sont avant tout des transformations artisanales réalisées par les peuples, où chaque être humain peut être un ferment efficace par son mode de vie quotidien. Les grandes transformations ne sont pas produites dans des bureaux ou dans des cabinets. Par conséquent, « chacun joue un rôle fondamental, dans un unique projet innovant, pour écrire une nouvelle page de l’histoire, une page remplie d’espérance, remplie de paix, remplie de réconciliation ».

Il y a une “architecture” de la paix où interviennent les diverses institutions de la société, chacune selon sa compétence, mais il y a aussi un “artisanat” de la paix qui nous concerne tous. À partir de divers processus de paix réalisés en plusieurs endroits dans le monde, « nous avons appris que ces chemins de pacification, de primauté de la raison sur la vengeance, de délicate harmonie entre la politique et le droit, ne peuvent pas ignorer les cheminements des gens. On n’y arrive pas avec l’élaboration de cadres juridiques et d’arrangements institutionnels entre groupes politiques ou économiques de bonne volonté. […] De plus, il est toujours enrichissant d’introduire dans nos processus de paix l’expérience de secteurs qui, en de nombreuses occasions, ont été rendus invisibles, pour que ce soient précisément les communautés qui peignent elles-mêmes les processus de mémoire collective ».

Il n’y a pas de point final à la construction de la paix sociale d’un pays. Celle-ci est plutôt « une tâche sans répit qui exige l’engagement de tous. Travail qui nous demande de ne pas relâcher l’effort de construire l’unité de la nation et, malgré les obstacles, les différences et les diverses approches sur la manière de parvenir à la cohabitation pacifique, de persévérer dans la lutte afin de favoriser la culture de la rencontre qui exige de mettre au centre de toute action, sociale et économique, la personne humaine, sa très haute dignité et le respect du bien commun. Que cet effort nous fasse fuir toute tentation de vengeance et de recherche d’intérêts uniquement particuliers et à court terme ».

Les manifestations publiques violentes, d’un côté ou de l’autre, n’aident pas à trouver d’issues. Surtout parce que, comme l’ont bien souligné les évêques de Colombie, lorsque sont encouragées « des mobilisations citoyennes, leurs origines et leurs objectifs n’apparaissent pas toujours clairement ; il y a des genres de manipulations politiques et on a observé des appropriations en faveur d’intérêts particuliers ».

Surtout avec les derniers

La recherche de l’amitié sociale n’implique pas seulement le rapprochement entre groupes sociaux éloignés après une période conflictuelle dans l’histoire, mais aussi la volonté de se retrouver avec les secteurs les plus appauvris et vulnérables. « La paix n’est pas seulement l’absence de guerre, mais l’engagement inlassable – surtout de la part de nous autres qui exerçons une charge liée à une plus grande responsabilité – de reconnaître, de garantir et de reconstruire concrètement la dignité, bien des fois oubliée ou ignorée, de nos frères, pour qu’ils puissent se sentir les principaux protagonistes du destin de leur Nation ».

Souvent, les derniers de la société ont été offensés par des généralisations injustes. Si parfois les plus pauvres et les exclus réagissent par des actes qui paraissent antisociaux, il est important de comprendre que ces réactions sont très souvent liées à une histoire de mépris et de manque d’inclusion sociale. Comme l’ont enseigné les évêques latino-américains, « ce n’est que la proximité avec les pauvres qui fait de nous leurs amis, qui nous permet d’apprécier profondément leurs valeurs actuelles, leurs légitimes désirs et leur manière propre de vivre la foi. L’option pour les pauvres doit nous conduire à l’amitié avec les pauvres ».

Ceux qui cherchent à pacifier la société ne doivent pas oublier que l’iniquité et le manque de développement humain intégral ne permettent pas de promouvoir la paix. En effet, « sans égalité de chances, les différentes formes d’agression et de guerre trouveront un terrain fertile qui tôt ou tard provoquera l’explosion. Quand la société – locale, nationale ou mondiale – abandonne dans la périphérie une partie d’elle-même, il n’y a ni programmes politiques, ni forces de l’ordre ou d’intelligence qui puissent assurer sans fin la tranquillité ». S’il s’avère nécessaire de recommencer, ce sera toujours à partir des derniers.

La valeur et le sens du pardon

Certains préfèrent ne pas parler de réconciliation parce qu’ils pensent que le conflit, la violence et les ruptures font partie du fonctionnement normal d’une société. De fait, au sein de tout groupe humain, il y a des luttes de pouvoir plus ou moins subtiles entre différents secteurs. D’autres soutiennent qu’accorder de la place au pardon, c’est renoncer à sa propre place pour laisser d’autres dominer la situation. C’est pourquoi ils considèrent qu’il vaut mieux préserver un jeu de pouvoir qui permette de préserver un équilibre des forces entre les différents groupes. D’autres croient que la réconciliation est l’affaire des faibles qui ne sont pas capables d’un dialogue de fond et qui choisissent donc de fuir les difficultés en dissimulant les injustices. Incapables d’affronter les problèmes, ils font l’option d’une paix apparente.

Le conflit inévitable

Le pardon et la réconciliation sont des thèmes fortement mis en exergue dans le christianisme et, de diverses manières, dans d’autres religions. Le risque, c’est de ne pas comprendre convenablement les convictions des croyants et de les présenter de telle sorte qu’elles finissent par alimenter le fatalisme, l’inertie ou l’injustice, ou alors l’intolérance et la violence.

Jésus-Christ n’a jamais invité à fomenter la violence ou l’intolérance. Il condamnait ouvertement l’usage de la force pour s’imposer aux autres : « Vous savez que les chefs des nations dominent sur elles en maîtres et que les grands leur font sentir leur pouvoir. Il n’en doit pas être ainsi parmi vous » (Mt 20, 25-26). Par ailleurs, l’Évangile demande de pardonner « soixante-dix-sept fois » (Mt 18, 22), et donne comme exemple le serviteur impitoyable qui, pardonné, n’a pas été capable, à son tour, de pardonner aux autres (cf. Mt 18, 23-35). 239.

Dans d’autres textes du Nouveau Testament, nous pouvons remarquer que, de fait, les communautés primitives, plongées dans un monde païen saturé de corruption et de dérives avaient le sens de la patience, de la tolérance, de la compréhension. Certains textes sont très clairs à cet égard : on invite à reprendre les adversaires « avec douceur» (2 Tm 2, 25). On exhorte à « n’outrager personne, éviter les disputes, se montrer bienveillant, témoigner à tous les hommes une parfaite douceur. Car, nous aussi, nous étions naguère des insensés » (Tt 3, 2-3). Le livre des Actes des Apôtres affirme que les disciples, persécutés par certaines autorités, « avaient la faveur de tout le peuple » (2, 47 ; cf. 4, 21.23 ; 5, 13).

Cependant, quand nous réfléchissons sur le pardon, la paix et la concorde sociale, nous nous trouvons face à une affirmation de Jésus-Christ qui nous surprend : « N’allez pas croire que je sois venu apporter la paix sur la terre ; je ne suis pas venu apporter la paix, mais le glaive. Car je suis venu opposer l’homme à son père, la fille à sa mère et la bru à sa belle-mère : on aura pour ennemis les gens de sa famille » (Mt 10, 34-36). Il est important de situer cette affirmation dans le contexte du chapitre où elle se trouve. De toute évidence, le thème qui y est abordé est celui de la fidélité à un choix, sans honte, même si cela comporte des contrariétés, et même si des proches s’opposent au choix en question. Par conséquent, cette affirmation n’invite pas à rechercher les conflits, mais simplement à supporter le conflit inéluctable, pour que le respect humain ne conduise pas à s’écarter de la fidélité en vue d’une supposée paix familiale ou sociale.

Saint Jean-Paul II a déclaré que l’Église « n’entend pas condamner tout conflit social sous quelque forme que ce soit : l’Église sait bien que les conflits d’intérêts entre divers groupes sociaux surgissent inévitablement dans l’histoire et que le chrétien doit souvent prendre position à leur sujet avec décision et cohérence ».

Les luttes légitimes et le pardon

Il ne s’agit pas de proposer un pardon en renonçant à ses droits devant un puissant corrompu, devant un criminel ou devant quelqu’un qui dégrade notre dignité. Nous sommes appelés à aimer tout le monde, sans exception. Mais aimer un oppresseur, ce n’est pas accepter qu’il continue d’asservir, ce n’est pas non plus lui faire penser que ce qu’il fait est admissible. Au contraire, l’aimer comme il faut, c’est œuvrer de différentes manières pour qu’il cesse d’opprimer, c’est lui retirer ce pouvoir qu’il ne sait pas utiliser et qui le défigure comme être humain. Pardonner ne veut pas dire lui permettre de continuer à piétiner sa propre dignité et celle de l’autre, ou laisser un criminel continuer à faire du mal.

Celui qui subit une injustice doit défendre avec force ses droits et ceux de sa famille précisément parce qu’il doit préserver la dignité qui lui a été donnée, une dignité que Dieu aime. Si un malfaiteur m’a fait du tort, à moi ou à un être cher, personne ne m’interdit d’exiger justice et de veiller à ce que cette personne – ou toute autre – ne me nuise de nouveau ou ne fasse le même tort à d’autres. Il faut le faire, et le pardon non seulement n’annule pas cette nécessité, mais l’exige.

L’essentiel, c’est de ne pas le faire pour nourrir une colère qui nuit à notre âme et à l’âme de notre peuple, ou par un besoin pathologique de détruire l’autre qui déclenche une course à la vengeance. Personne n’obtient la paix intérieure ni ne se réconcilie avec la vie de cette manière. La vérité, c’est qu’« aucune famille, aucun groupe de voisins ni aucune ethnie, encore moins aucun pays n’a d’avenir si le moteur qui unit, agrège et couvre les différences, [est] la vengeance et la haine. Nous ne pouvons pas nous mettre d’accord et nous unir pour nous venger, pour perpétrer contre celui qui a été violent ce qu’il nous a fait, pour planifier des occasions de représailles sous des formes apparemment légales ». On ne gagne rien ainsi, et, à la longue, on perd tout.

Certes, « dépasser l’héritage amer d’injustices, d’hostilités et de défiance laissé par le conflit n’est pas une tâche facile. Cela ne peut être réalisé qu’en faisant vaincre le mal par le bien (Cf. Rm 12, 21) et en cultivant les vertus qui promeuvent la réconciliation, la solidarité et la paix ». De cette manière, à « celui qui la fait grandir en lui, la bonté donne une conscience tranquille, une joie profonde même au milieu des difficultés et des incompréhensions. Jusque dans les offenses subies, la bonté n’est pas faiblesse, mais vraie force capable de renoncer à la vengeance ». Il faut également que je reconnaisse à mon niveau que le jugement sévère que je porte dans mon cœur contre mon frère et ma sœur, cette cicatrice jamais refermée, cette offense jamais pardonnée, cette rancœur qui ne peut que me nuire, que tout cela est un nouvel épisode de la guerre en moi, un feu dans mon cœur qu’il faut éteindre avant qu’il ne s’embrase.

La vraie victoire

Quand les conflits ne sont pas résolus mais plutôt dissimulés ou enterrés dans le passé, il y a des silences qui peuvent être synonymes de complicité avec des erreurs et des péchés graves. Mais la vraie réconciliation, loin de fuir le conflit, se réalise plutôt dans le conflit, en le dépassant par le dialogue et la négociation transparente, sincère et patiente. La lutte entre divers secteurs, « si elle renonce aux actes d’hostilité et à la haine mutuelle, se change peu à peu en une légitime discussion d’intérêts, fondée sur la recherche de la justice ».

À plusieurs reprises, j’ai proposé « un principe indispensable pour construire l’amitié sociale : l’unité est supérieure au conflit. […] Il ne s’agit pas de viser au syncrétisme ni à l’absorption de l’un dans l’autre, mais de la résolution à un plan supérieur qui conserve, en soi, les précieuses potentialités des polarités en opposition ». Nous le savons parfaitement, « chaque fois que, en tant que personnes et communautés, nous apprenons à viser plus haut que nous-mêmes et que nos intérêts particuliers, la compréhension et l’engagement réciproques se transforment […] en un domaine où les conflits, les tensions et aussi ceux qui auraient pu se considérer comme des adversaires par le passé, peuvent atteindre une unité multiforme qui engendre une nouvelle vie ».

La mémoire

On ne doit pas exiger une sorte de “pardon social” de la part de celui qui a beaucoup souffert injustement et cruellement. La réconciliation est un fait personnel, et personne ne peut l’imposer à l’ensemble d’une société, même si elle doit être promue. Dans le domaine strictement personnel, par une décision libre et généreuse, quelqu’un peut renoncer à exiger un châtiment (cf. Mt 5, 44-46), même si la société et sa justice le demandent légitimement. Mais il n’est pas possible de décréter une “réconciliation générale” en prétendant refermer par décret les blessures ou couvrir les injustices d’un manteau d’oubli.

Qui peut s’arroger le droit de pardonner au nom des autres ? Il est émouvant de voir la capacité de pardon de certaines personnes qui ont su aller au-delà du mal subi, mais il est aussi humain de comprendre ceux qui ne peuvent pas le faire. Dans tous les cas, ce qui ne doit jamais être proposé, c’est l’oubli.

La Shoa ne doit pas être oubliée. Elle est le « symbole du point où peut arriver la méchanceté de l’homme quand, fomentée par de fausses idéologies, il oublie la dignité fondamentale de chaque personne qui mérite un respect absolu quel que soit le peuple auquel elle appartient et la religion qu’elle professe ». Pour la rappeler, je ne peux pas ne pas répéter cette prière : « Souviens-toi de nous dans ta miséricorde. Donne-nous la grâce d’avoir honte de ce que, comme hommes, nous avons été capables de faire, d’avoir honte de cette idolâtrie extrême, d’avoir déprécié et détruit notre chair, celle que tu as modelée à partir de la boue, celle que tu as vivifiée par ton haleine de vie. Jamais plus, Seigneur, jamais plus ! ».

On ne doit pas oublier les bombardements atomiques d’Hiroshima et de Nagasaki. Une fois encore, « je fais mémoire ici de toutes les victimes et je m’incline devant la force et la dignité de ceux qui, ayant survécu à ces premiers moments, ont supporté dans leurs corps, de nombreuses années durant, les souffrances les plus atroces et, dans leur esprit, les germes de la mort qui continuaient à consumer leur énergie vitale. […] Nous ne pouvons pas permettre que les générations présentes et nouvelles perdent la mémoire de ce qui est arrivé, cette mémoire qui est garantie et encouragement pour construire un avenir plus juste et plus fraternel ». On ne doit pas non plus oublier les persécutions, le trafic d’esclaves et les massacres ethniques qui se sont produits, et qui se produisent dans plusieurs pays, ainsi que tous les autres faits historiques qui nous font honte d’être des hommes. Nous devons toujours nous en souvenir, sans relâche, inlassablement, sans nous laisser anesthésier.

Il est facile aujourd’hui de céder à la tentation de tourner la page en disant que beaucoup de temps est passé et qu’il faut regarder en avant. Non, pour l’amour de Dieu ! On ne progresse jamais sans mémoire, on n’évolue pas sans une mémoire complète et lumineuse. Nous avons besoin de garder « vivante la flamme de la conscience collective, témoignant aux générations successives l’horreur de ce qui est arrivé » qui « réveille et conserve de cette façon la mémoire des victimes afin que la conscience humaine devienne toujours plus forte face à toute volonté de domination et de destruction ».

Les victimes elles-mêmes – personnes, groupes sociaux ou nations – en ont besoin pour ne pas céder à la logique qui porte à justifier les représailles et quelque violence au nom de l’énorme préjudice subi. C’est pourquoi, je ne me réfère pas uniquement à la mémoire des horreurs, mais aussi au souvenir de ceux qui, dans un contexte malsain et corrompu, ont été capables de retrouver la dignité et, par de petits ou grands gestes, ont fait le choix de la solidarité, du pardon, de la fraternité. Il est très sain de faire mémoire du bien.

Pardon sans oubli

Le pardon n’implique pas l’oubli. Nous disons plutôt que lorsqu’il y a quelque chose qui ne peut, en aucune manière, être nié, relativisé ou dissimulé, il est cependant possible de pardonner. Lorsqu’il y a quelque chose qui ne doit jamais être toléré, justifié, ou excusé, il est cependant possible de pardonner. Quand il y a quelque chose que pour aucune raison nous ne pouvons, nous permettre d’oublier, nous pouvons cependant pardonner. Le pardon libre et sincère est une grandeur qui reflète l’immensité du pardon divin. Si le pardon est gratuit, alors on peut pardonner même à quelqu’un qui résiste au repentir et qui est incapable de demander pardon.

Ceux qui pardonnent en vérité n’oublient pas, mais renoncent à être possédés par cette même force destructrice dont ils ont été victimes. Ils brisent le cercle vicieux, ralentissent les progrès des forces de destruction. Ils décident de ne pas continuer à inoculer dans la société l’énergie de la vengeance qui, tôt ou tard, finit par retomber une fois de plus sur eux-mêmes. En effet, la vengeance ne satisfait jamais vraiment les victimes. Certains crimes sont si horribles et si cruels qu’infliger des peines à leurs auteurs ne peut pas donner le sentiment que le dommage causé a été réparé. Il ne suffit pas non plus de tuer le criminel ; il serait de même impossible de trouver des tortures qui équivaillent aux souffrances que la victime a pu avoir endurées. La vengeance ne résout rien.

Cependant, nous ne parlons pas d’impunité. Mais la justice ne se recherche que par amour de la justice elle-même, par respect pour les victimes, pour prévenir de nouveaux crimes et en vue de préserver le bien commun, mais certainement pas pour évacuer sa colère. Le pardon, c’est précisément ce qui permet de rechercher la justice sans tomber dans le cercle vicieux de la vengeance, ni dans l’injustice de l’oubli.

Quand des injustices sont commises de part et d’autre, il faut clairement reconnaître qu’elles peuvent ne pas avoir la même gravité ou n’être pas comparables. La violence exercée par les structures et le pouvoir de l’État n’est pas au même niveau que la violence perpétrée par des groupes particuliers. De toute manière, on ne peut pas demander que l’on se souvienne uniquement des souffrances injustes d’une seule des parties. Comme l’on enseigné les évêques de Croatie : « Nous devons à toutes les victimes innocentes le même respect. Il ne peut ici y avoir de différences raciales, confessionnelles, nationales ou politiques ».

Je demande à Dieu « de préparer nos cœurs à la rencontre avec nos frères au-delà des différences d’idées, de langues, de cultures, de religions ; demandons-lui d’oindre tout notre être de l’huile de sa miséricorde qui guérit les blessures des erreurs, des incompréhensions, des controverses ; demandons-lui la grâce de nous envoyer avec humilité et douceur sur les sentiers exigeants, mais féconds, de la recherche de la paix ».

La guerre et la peine de mort

Certaines situations extrêmes peuvent finir par se présenter comme des solutions dans des circonstances particulièrement dramatiques, sans qu’on se rende compte que ce sont de fausses réponses, qui ne résolvent pas les problèmes posés, et qu’en définitive elles ne font qu’ajouter de nouveaux facteurs de destruction dans le tissu de la société nationale et planétaire. Il s’agit de la guerre et de la peine de mort.

L’injustice de la guerre

« Au cœur qui médite le mal : la fraude ; aux conseillers pacifiques : la joie » (Pr 12, 20). Toutefois, certains cherchent des solutions dans la guerre qui se nourrit souvent de la perversion des relations, d’ambitions hégémoniques, d’abus de pouvoir, de la peur de l’autre et de la différence perçue comme un obstacle. La guerre n’est pas un fantasme du passé mais au contraire elle est devenue une menace constante. Le monde rencontre toujours plus d’obstacles dans le lent cheminement vers la paix qu’il avait initié et qui commençait à porter quelques fruits.

Puisque de nouveau les conditions se réunissent pour la prolifération des guerres, je rappelle que « la guerre est la négation de tous les droits et une agression dramatique contre l’environnement. Si l’on veut un vrai développement humain intégral pour tous, on doit poursuivre inlassablement l’effort pour éviter la guerre entre les nations et les peuples. À cette fin, il faut assurer l’incontestable état de droit et le recours inlassable à la négociation, aux bons offices et à l’arbitrage, comme proposé par la Charte des Nations Unies, vraie norme juridique fondamentale ».

Je voudrais souligner que les soixante-quinze ans des Nations Unies et l’expérience des vingt premières années de ce millénaire montrent que la pleine application des normes internationales est réellement efficace et que leur violation est nuisible. La Charte des Nations Unies, respectée et appliquée dans la transparence et en toute sincérité, est un point de référence obligatoire de justice et une voie de paix. Mais cela suppose que des intentions spécieuses ne soient pas masquées et que des intérêts particuliers d’un pays ou d’un groupe ne soient pas placés au-dessus du bien commun du monde entier. Si la loi est considérée comme un instrument auquel on recourt lorsque cela s’avère favorable et qu’on la contourne dans le cas contraire, des forces incontrôlables se déclenchent qui nuisent gravement aux sociétés, aux plus faibles, à la fraternité, à l’environnement, aux biens culturels, entraînant des pertes irrécupérables sur le plan mondial.

C’est ainsi qu’on fait facilement le choix de la guerre sous couvert de toutes sortes de raisons, supposées humanitaires, défensives, ou préventives, même en recourant à la manipulation de l’information. De fait, ces dernières décennies, toutes les guerres ont été prétendument “justifiées”.

Le Catéchisme de l’Église catholique parle de la possibilité d’une légitime défense par la force militaire, qui suppose qu’on démontre que sont remplies certaines « conditions rigoureuses de légitimité morale ». Mais on tombe facilement dans une interprétation trop large de ce droit éventuel. On veut ainsi justifier indument même des attaques ‘‘préventives’’ ou des actions guerrières qui difficilement n’entraînent pas « des maux et des désordres plus graves que le mal à éliminer ».

Le problème, c’est que depuis le développement des armes nucléaires, chimiques ou biologiques, sans oublier les possibilités énormes et croissantes qu’offrent les nouvelles technologies, la guerre a acquis un pouvoir destructif incontrôlé qui affecte beaucoup de victimes civiles innocentes.

Incontestablement, « jamais l’humanité n’a eu autant de pouvoir sur elle-même et rien ne garantit qu’elle s’en servira toujours bien ». Nous ne pouvons donc plus penser à la guerre comme une solution, du fait que les risques seront probablement toujours plus grands que l’utilité hypothétique qu’on lui attribue. Face à cette réalité, il est très difficile aujourd’hui de défendre les critères rationnels, mûris en d’autres temps, pour parler d’une possible “guerre juste”. Jamais plus la guerre !

Il est important d’ajouter qu’avec le développement de la mondialisation, ce qui peut apparaître comme une solution immédiate ou pratique à un endroit dans le monde crée un enchaînement de facteurs violents, très souvent imperceptibles, qui finit par affecter toute la planète et ouvrir la voie à de nouvelles et pires guerres à l’avenir. Dans notre monde il n’y a plus seulement des “morceaux” de guerre dans tel ou tel pays, mais on affronte une “guerre mondiale par morceaux”, car les destins des pays sont fortement liés entre eux sur la scène mondiale.

Comme le disait saint Jean XXIII, « il devient impossible de penser que la guerre soit le moyen adéquat pour obtenir justice d’une violation de droits ». Il l’affirmait à un moment de forte tension internationale et il a ainsi exprimé le grand désir de paix qui se répandait à l’époque de la guerre froide. Il a renforcé la conviction que les raisons pour la paix sont plus fortes que tout calcul lié à des intérêts particuliers et toute confiance dans l’usage des armes. Mais, par manque d’une vision d’avenir et par manque d’une conscience partagée concernant notre destin commun, on n’a pas profité, comme il le fallait, des occasions qu’offrait la fin de la guerre froide. Au contraire, on a cédé à la quête d’intérêts particuliers sans se soucier du bien commun universel. La voie a été ainsi rouverte à la trompeuse terreur de la guerre.

Toute guerre laisse le monde pire que dans l’état où elle l’a trouvé. La guerre est toujours un échec de la politique et de l’humanité, une capitulation honteuse, une déroute devant les forces du mal. N’en restons pas aux discussions théoriques, touchons les blessures, palpons la chair des personnes affectées. Retournons contempler les nombreux civils massacrés, considérés comme des “dommages collatéraux”. Interrogeons les victimes. Prêtons attention aux réfugiés, à ceux qui souffrent des radiations atomiques ou des attaques chimiques, aux femmes qui ont perdu leurs enfants, à ces enfants mutilés ou privés de leur jeunesse. Prêtons attention à la vérité de ces victimes de la violence, regardons la réalité avec leurs yeux et écoutons leurs récits le cœur ouvert. Nous pourrons ainsi reconnaître l’abîme de mal qui se trouve au cœur de la guerre, et nous ne serons pas perturbés d’être traités de naïfs pour avoir fait le choix de la paix.

Les lois ne suffiront pas non plus si l’on pense que la solution aux problèmes actuels consiste à dissuader les autres par la peur, en menaçant de l’usage d’armes nucléaires, chimiques ou biologiques. Car « si nous prenons en considération les principales menaces à la paix et à la sécurité dans leurs multiples dimensions dans ce monde multipolaire du XXIème siècle, comme par exemple le terrorisme, les conflits asymétriques, la cybersécurité, les problèmes environnementaux, la pauvreté, de nombreux doutes surgissent en ce qui concerne l’insuffisance de la dissuasion nucléaire comme réponse efficace à ces défis.

Ces préoccupations assument une importance encore plus grande si nous considérons les conséquences humanitaires et environnementales catastrophiques qui découlent de toute utilisation des armes nucléaires ayant des effets dévastateurs indiscriminés et incontrôlables, dans le temps et dans l’espace. […] Nous devons également nous demander dans quelle mesure un équilibre fondé sur la peur est durable, quand il tend de fait à accroître la peur et à porter atteinte aux relations de confiance entre les peuples. La paix et la stabilité internationales ne peuvent être fondées sur un faux sentiment de sécurité, sur la menace d’une destruction réciproque ou d’un anéantissement total, ou sur le seul maintien d’un équilibre des pouvoirs. […] Dans ce contexte, l’objectif ultime de l’élimination totale des armes nucléaires devient à la fois un défi et un impératif moral et humanitaire. […]

L’interdépendance croissante et la mondialisation signifient que, quelle que soit la réponse que nous apportons à la menace des armes nucléaires, celle-ci doit être collective et concertée, basée sur la confiance mutuelle. Cette confiance ne peut être construite qu’à travers un dialogue véritablement tourné vers le bien commun et non vers la protection d’intérêts voilés ou particuliers ». Et avec les ressources financières consacrées aux armes ainsi qu’à d’autres dépenses militaires, créons un Fonds mondial, en vue d’éradiquer une bonne fois pour toutes la faim et pour le développement des pays les plus pauvres, de sorte que leurs habitants ne recourent pas à des solutions violentes ou trompeuses ni n’aient besoin de quitter leurs pays en quête d’une vie plus digne.

La peine de mort

Il est une autre façon d’éliminer l’autre, qui ne concerne pas les pays mais les personnes. C’est la peine de mort.

Saint Jean-Paul II a affirmé de manière claire et ferme qu’elle est inadéquate sur le plan moral et n’est pas nécessaire sur le plan pénal. Il n’est pas possible de penser revenir sur cette position. Aujourd’hui, nous disons clairement que « la peine de mort est inadmissible » et l’Église s’engage résolument à proposer qu’elle soit abolie dans le monde entier.

Dans le Nouveau Testament, alors que l’on demande aux individus de ne pas se rendre justice eux-mêmes (cf. Rm 12, 17.19), on reconnaît la nécessité que les autorités imposent des peines à ceux qui font le mal (cf. Rm 13, 4 ; 1P 2, 14). En effet, « la vie en commun, structurée autour de communautés organisées, a besoin de règles de coexistence dont la violation libre exige une réponse adaptée ». Cela implique que l’autorité publique légitime peut et doit « infliger des peines proportionnées à la gravité des délits » et que « l’indépendance nécessaire dans le domaine de la loi » doit être garantie au pouvoir judiciaire. Dès les premiers siècles de l’Église, certains se sont clairement déclarés contraires à la peine capitale. Par exemple, Lactance soutenait qu’« il ne fallait faire aucune distinction : tuer un homme sera toujours un crime ». Le Pape Nicolas Ier exhortait : « Tâchez de délivrer de la peine de mort non seulement les innocents mais aussi tous les coupables ». À l’occasion d’un procès contre des meurtriers qui avaient assassiné deux prêtres, saint Augustin a demandé au juge de ne pas leur ôter la vie. Et il se justifiait ainsi : « Ce n’est pas que nous nous opposions à ce qui doit ôter aux méchants la liberté du crime, mais nous voulons qu’on leur laisse la vie et qu’on ne fasse subir à leur corps aucune mutilation ; il nous paraîtrait suffisant qu’une peine légale mît fin à leur agitation insensée et les aidât à retrouver le bon sens, ou qu’on les détournât du mal en les employant à quelque travail utile. Ce serait là aussi une condamnation ; mais qui ne comprend qu’un état où l’audace criminelle ne peut plus se donner carrière et où on laisse le temps au repentir, doit être appelé un bienfait plutôt qu’un supplice. […] Réprimez le mal sans oublier ce qui est dû à l’humanité ; que les atrocités des pécheurs ne soient pas pour vous une occasion de goûter le plaisir de la vengeance, mais qu’elles soient comme des blessures que vous preniez soin de guérir ».

Les peurs et les rancunes conduisent facilement à une conception vindicative, voire cruelle, des peines, alors qu’elles doivent être comprises comme faisant partie d’un processus de guérison et de réinsertion dans la société. Aujourd’hui « aussi bien dans certains secteurs de la politique que dans certains moyens de communication, on incite parfois à la violence et à la vengeance, publique et privée, non seulement contre ceux qui sont responsables d’avoir commis des délits, mais aussi contre ceux sur lesquels retombe le soupçon, fondé ou non, d’avoir violé la loi. […]

Il y a parfois la tendance à construire délibérément des ennemis : des figures stéréotypées, qui concentrent en elles-mêmes toutes les caractéristiques que la société perçoit ou interprète comme menaçantes. Les mécanismes de formation de ces images sont les mêmes qui, en leur temps, permirent l’expansion des idées racistes ». Cela a rendu particulièrement dangereuse l’habitude croissante, dans certains pays, de recourir à la prison préventive, à des incarcérations sans jugement et surtout à la peine de mort.

Je voudrais faire remarquer qu’« il est impossible d’imaginer qu’aujourd’hui les États ne puissent pas disposer d’un autre moyen que la peine capitale pour défendre la vie d’autres personnes contre un agresseur injuste ». Les exécutions dites extrajudiciaires ou extra-légales sont particulièrement graves ; elles sont « des meurtres délibérés commis par certains États et par leurs agents, souvent maquillés en affrontements avec des délinquants ou présentés comme des conséquences involontaires du recours raisonnable, nécessaire et proportionnel à la force pour faire appliquer la loi ».

« Les arguments contraires à la peine de mort sont nombreux et bien connus. L’Église en a opportunément souligné quelques-uns, comme la possibilité de l’existence de l’erreur judiciaire et l’usage qu’en font les régimes totalitaires et dictatoriaux qui l’utilisent comme instrument de suppression de la dissidence politique ou de persécution des minorités religieuses et culturelles, autant de victimes qui, selon leurs législations respectives, sont des “délinquants”. Tous les chrétiens et les hommes de bonne volonté sont donc appelés […] à lutter non seulement pour l’abolition de la peine de mort, légale ou illégale, et sous toutes ses formes, mais aussi afin d’améliorer les conditions carcérales, dans le respect de la dignité humaine des personnes privées de la liberté. Et cela, je le relie à la prison à perpétuité. […] La prison à perpétuité est une peine de mort cachée ».

Rappelons-nous que le meurtrier « garde sa dignité personnelle et Dieu lui-même s’en fait le garant ». Le rejet ferme de la peine de mort montre à quel point il est possible de reconnaître l’inaliénable dignité de tout être humain et d’accepter sa place dans cet univers. Étant donné que si je ne la nie pas au pire des criminels, je ne la nierai à personne, je donnerai à chacun la possibilité de partager avec moi cette planète malgré ce qui peut nous séparer.

J’invite les chrétiens qui doutent et qui sont tentés de céder face à la violence, quelle qu’en soit la forme, à se souvenir de cette annonce du livre d’Isaïe : « Ils briseront leurs épées pour en faire des socs » (2, 4). Pour nous, cette prophétie prend chair en Jésus-Christ, qui, face à un disciple gagné par la violence, disait avec fermeté : « Rengaine ton glaive ; car tous ceux qui prennent le glaive périront par le glaive » (Mt 26, 52). C’était un écho de cette ancienne mise en garde : « Je demanderai compte du sang de chacun de vous. Qui verse le sang de l’homme, par l’homme aura son sang versé » (Gn 9, 5-6). Cette réaction de Jésus jaillissant de son cœur traverse les siècles et parvient jusqu’au temps actuel comme un avertissement permanent.

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