
Pour comprendre la colère qui gronde aujourd’hui dans les rues de Serbie, il faut remonter le fil d’une histoire tourmentée. De l’éclatement sanglant de la Yougoslavie à l’ascension d’Aleksandar Vučić, c’est tout un pays qui peine à solder ses comptes avec le passé.
De la fédération à la fragmentation : l’éclatement de la Yougoslavie
La Yougoslavie, fédération multiethnique née après la Seconde Guerre mondiale, réunissait six républiques : Serbie, Croatie, Slovénie, Bosnie-Herzégovine, Monténégro et Macédoine. Sous Tito, le pays tenait par un équilibre autoritaire mais stable.
Mais à sa mort en 1980, les tensions ethniques, les inégalités économiques et la montée des nationalismes ont fait exploser l’édifice. Entre 1991 et 1999, la région s’embrase :
- Guerre de Croatie, puis guerre de Bosnie (1992–1995), marquées par des purifications ethniques et des crimes de guerre.
- Guerre du Kosovo (1998–1999), qui aboutit à l’intervention de l’OTAN et à l’indépendance de facto du Kosovo.
La Serbie, dirigée par Slobodan Milošević, joue un rôle central dans ces conflits, soutenant les milices serbes en Croatie, en Bosnie et au Kosovo. Le pays devient un paria international, sous sanctions, isolé, ruiné.
Les cicatrices des conflits balkaniques
Trente ans plus tard, les séquelles sont toujours là :
- Mémoire fragmentée : chaque peuple a sa version de l’histoire, ses héros, ses martyrs.
- Traumatismes collectifs : les familles déplacées, les villes détruites, les procès à La Haye ont laissé des plaies ouvertes.
- Nationalisme résiduel : les discours identitaires restent puissants, notamment en Serbie, où certains crimes de guerre sont encore niés ou minimisés.
Vučić, l’héritier inattendu
En 1998, un jeune homme de 28 ans devient ministre de l’Information dans le gouvernement de Milošević. Son nom : Aleksandar Vučić.
- Il fait voter une loi muselant la presse, interdit les médias étrangers, et accuse les journalistes d’être des « agents de l’étranger ».
- Il est alors membre du Parti radical serbe, formation ultranationaliste dirigée par Vojislav Šešelj.
- En 1995, il déclare : « Si vous tuez un Serbe, nous tuerons cent musulmans » — une phrase qu’il reniera plus tard, affirmant avoir changé.
Après la chute de Milošević en 2000, Vučić opère une métamorphose politique. Il fonde en 2008 le Parti progressiste serbe (SNS), se présente commeDiplomatie pro-européen, et gravit les échelons jusqu’à devenir Premier ministre en 2014, puis président en 2017.
Le « système Vučić » : autorité, confusion, contrôle
Sous des dehors modernisés, Vučić a bâti un système de pouvoir centralisé, opaque et clientéliste :
- Contrôle des médias : chaînes publiques alignées, presse critique marginalisée.
- Élections biaisées : usage massif des ressources de l’État, intimidation de l’opposition.
- Double discours : pro-européen à Bruxelles, nationaliste à Belgrade.
- Diplomatie d’équilibriste : entre l’UE, la Russie et la Chine.
« Vučić a tout appris de Šešelj : l’art de semer la confusion, de diviser pour régner », analyse une journaliste spécialiste des Balkans.
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