La vie reprend à Doha, début septembre 2014

Mentalité de mercenaire

Les rues de Doha depuis hier retrouvent l’animation après deux mois de baisse d’activité. Les expatriés qui étaient rentrés chez eux reviennent travailler pour avancer les travaux d’infrastructures qui transforment Doha et le Qatar. C’est la rentrée pour 243 000 étudiants avec un millier de bus supplémentaires. Il ne manquait ce matin que les sirènes des pompiers pour le traditionnel feu quasi journalier.

Doha le poumon du Qatar se gonfle à nouveau

La radio branchée sur Oryx Fm, radio francophone que l’on capte à Doha, c’est en musique que je me rends à mon travail ce matin. Cette année je suis resté ici à Doha, je travaille depuis trois ans pour une multinationale française du bâtiment et travaux publics. Malgré quelques déviations pour travaux entre juillet et août, Doha se vide d’une partie de ses habitants ce qui permet de rouler un peu.

Depuis ce matin, les rues de Doha retrouvent leur animation habituelle, odeurs d’échappements, coups de klaxons quasiment à l’italienne, il faut avoir l’œil vif car des grosses limousines vous doublent parfois en dépit du bon sens. Il ne manquait ce matin que les sirènes des pompiers pour le traditionnel feu quasi journalier.

Les expatriés sont de retour et retrouvent la chaleur moite de Doha, encore une journée à plus de 40 degrés. Depuis mon appartement il me faut presque trente minutes pour traverser la ville et me rendre à mon bureau. Je vois beaucoup plus de bus que d’habitude, cela confirme l’information entendue il y a quelques jours.

Pour essayer de désengorger Doha les bus dont le nombre a plus que doublé, font le ramassage scolaire, cela devrait supprimer quelques véhicules particuliers, mais les qataris ne sont pas habitués au transport en commun et à la promiscuité. En trois ans Doha a changé, c’est un chantier permanent, routes, autoroutes, métro, bâtiments de toutes sortes, une chance pour les grandes sociétés pour se faire du fric.

Mon responsable hiérarchique nous a fait une remontée de « bretelles » car nous avons pris du retard sur nos travaux et les qataris commencent à s’énerver.  Depuis que Qatar Foundation a viré OHL International and Contrack International pour retards importants sur la finition du complexe de santé « Sidra Hospital », la pression se fait ressentir sur nous. Heureusement, nous avons à peine deux mois de retard et en grosse partie par le fait de l’administration qatarie.

Nous avons aussi depuis deux semaines le ministère du travail et de l’intérieur qui s’agite beaucoup plus que d’habitude sur ce qui se passe chez nos sous-traitants. Les projecteurs qui ne lâchent plus le Qatar sur les conditions de travail obligent les administrations qataries à être plus au courant de ce qui se trame dans le monde du travail. Du coup ils se servent de nous pour contraindre les entreprises sous-traitantes à respecter la loi, ce qui va nous compliquer la vie.

Le plus gros problème que nous avons actuellement est le logement des salariés, certains ont été virés de leurs habitations et n’ont pas trouvé de lieux fixes pour dormir, nous avons créé un service pour cela, pour retrouver un logement mais aussi pour en changer car les prix deviennent exorbitants. Or, les qataris nous ont informés qu’ils vont accélérer l’arrivée d’autres migrants dès qu’ils auront la confirmation que la Coupe du monde 2022 reste bien au Qatar. Notre société n’est pas concernée par cet événement mais les tensions vont être extrêmes avec l’arrivée de plusieurs centaines de milliers de travailleurs en plus, souvent célibataires, en sachant que le logement pour les héberger ne va pas suivre.

Un ami qatari me disait «  je ne me sens déjà plus chez moi ici à Doha, on atteint les limites du supportable, tu te rends compte même si on les parque à l’extérieur de la ville, tous ces célibataires au même endroit si une explosion sociale se produit mais comment on va faire ? »

On a du mal à imaginer le futur au Qatar

Les informations sur les perspectives du Qatar sur le papier semblent plutôt bonnes mais je suis depuis quelques temps envahi par une angoisse. Les tensions avec les voisins du Golfe dont l’Arabie saoudite et les Emirats Arabes Unis ont donné l’impression que d’un jour à l’autre tout pouvait s’arrêter.  Les tensions en Irak, pas si loin finalement accentuent le pessimisme qui vous envahit parfois. Je sens depuis plusieurs mois une certaine radicalisation des qataris qui reparlent de la façon de s’habiller, qui nous reprennent sur notre langage, j’ai la sensation qu’ils marquent encore plus leurs distances par rapport à nous européens.

Leur complexe de supériorité revient en force. Mais on sent qu’ils ne sont pas tranquilles. Leur image aux yeux du monde s’est dégradée avec ces histoires de morts, de blessés avec les mauvaises conditions de travail. Cela les tracasse, ils doutent que le gouvernement fasse de « vraies » avancées sur le droit du travail. Peut-être que leur plus grande peur même si cela parait impossible, c’est qu’ils perdent la Coupe du Monde de football. Pourtant cet évènement, beaucoup de qataris l’appréhendent, la vie à Doha va être intenable pendant deux mois. Mais le pire serait « la honte » d’être rejetés par le reste du monde pour des histoires de corruption ou des mauvaises conditions de travail. Les dirigeants qataris sont blindés et insensibles aux remarques désobligeantes mais le qatari moyen celui que vous fréquentez régulièrement, lui, le vit très mal.

Comme me disait mon « boss », à chacun sa misère, on a toujours les dirigeants que l’on mérite. Je viens de me garer, pour aller travailler, restons optimistes, pour moi le Qatar reste toujours un eldorado peut être que finalement les dirigeants de ce pays ont pris conscience qu’il fallait ouvrir la boîte à progrès, mais l’arrestation de deux enquêteurs britanniques des droits de l’homme me fait douter de leur ouverture d’esprit. La chance que j’ai c’est que dans deux ans je peux revenir chez moi et ouvrir le petit commerce dont je rêve. Allez reprenons notre habit de mercenaire, je suis là pour gagner du fric et pas pour faire la révolution.