Les sept mois de l’émir Tamim

KAFALA UN POISON

Un émir ambitieux, jeune avec des idées plein la tête qui doit endosser l’habit de la responsabilité. On commence à percevoir les premières pistes de sa personnalité.

 

Tamim dirige en déléguant mais exige des résultats

Il y a sept mois de cela dans le Golfe arabe, l’arrivée de l’émir Tamim succédant à l’émir Hamad ne passa pas inaperçue. Dans quelques années nous saurons la vérité sur cette succession, certes préparée mais un peu brusque sur son final. Sept mois, c’est à la fois court pour se faire une idée mais on commence à percevoir les premières pistes de sa personnalité.

Il est présent de partout et dirige en direct l’essentiel du pays. Il a un premier ministre fidèle et avisé à qui il délègue le quotidien. Son cabinet (diwan) s’étoffe de jour en jour, comme disent Chesnot et Malbrunot « Tout part du diwan de l’émir et tout y revient. » La décision de donner un nouvel élan à la gestion de la Coupe du monde 2022 est un signal pour son entourage et l’extérieur, « si tu ne fais pas vite et bien Tamim fera ». Mais Tamim pour faire « mieux » a besoin de nouveaux filtres pour lui remonter l’information et placer ses « hommes » au-delà du gouvernement.

 En matière économique, son agacement commence à être réel sur le retard des grands travaux comme l’aéroport Hamad, la cité de Baraha et d’autres. Cet homme qui aime la précision est déçu de l’image du Qatar qui ne fait  pas, sur ce secteur, ce qu’il dit. Or, pour jouer dans la cour des grandes nations il faut être aux rendez vous tant au niveau de la qualité que du timing. Il voit arriver quelques grands dossiers sur la table de son équipe qu’il va falloir « réussir ». L’un d’entre eux porte sur les expatriés qui a été géré de manière désastreuse. L’ardente obligation est de reprendre la main sur les conditions de vie et de travail, le sponsorship (kafala) devient un piège pour le Qatar alors qu’aux Emirats Arabes Unis, il n’existe pas.

Les deux pays vont être en concurrence sur le même public car au Qatar il faut entrevoir les changements d’une grosse partie des travailleurs résidents. Dans quelques années le bâtiment et les travaux publics, ayant rattrapé le retard sur les infrastructures et la coupe 2022 préparée, pourra renvoyer dans leurs foyers des cohortes d’expatriés et les remplacer par d’autres sur les métiers de demain, finances, tourisme, petits entrepreneurs… La priorité sera donnée aux populations arabes de l’Afrique du Nord et du Moyen Orient puisque l’autre dossier d’importance sera la population du Qatar.

Publiquement on se félicite de son augmentation mais mon petit doigt me dit qu’en privé on prépare la population à un statut de « quasi qatari ». Le Qatar sur ce sujet n’est vraiment pas à la hauteur. Les chiffres de la population qatarie vont de 200 000 à 350 000. Ce qui est certain avec l’explosion de la cellule familiale et les problèmes de santé des jeunes Qatariens, l’émir Tamim ne peut plus attendre. Il doit prendre des mesures « urgentes » pour accueillir quelques milliers de personnes par an au titre de « qatari » ou de « quasi qatari ». La maison Qatar du futur pourrait disparaître faute de qataris.

Ce qui peine Tamim est l’échec de la politique de l’éducation qui devait être le « fleuron du pays » se détachant des autres pays arabes par sa qualité. Or, le constat est désolant car le système scolaire qatari reste dans une honorable moyenne mais n’atteint pas les objectifs vitaux du pays.

Le combat des modernes et des conservateurs, Scheikha Moza contre le procureur général Al Marri, a été si violent que ces derniers portent la responsabilité d’une école qui ne donne pas envie de réussir, bloque la créativité de l’enfant, conserve l’adolescent loin du monde actuel et « abandonne » ses jeunes adultes aux écoles internationales. Le « tripatouillage » des manuels d’histoire au Qatar montre une envie « moyenâgeuse » des conservateurs qui peut conduire au pire.

L’appel de Tamim pour une armée avec une présence de jeunes Qatariens ne sera pas entendu ni par la volonté des jeunes ni par le bon sens des familles qui ne souhaitent pas envoyer les meilleurs d’entre eux dans un cul de sac de la réussite sociale. Ils préfèrent que leurs enfants soient des gestionnaires de patrimoine leur garantissant une vieillesse dorée.

 

Les deux guets-apens qui menacent Tamim

 En premier lieu, l’indépendance du pouvoir judiciaire n’est pas acquise au Qatar, ceci va à l’encontre des fondamentaux d’un état de droit. Gabriela Knaul, rapporteur spécial de l’ONU a tenu une conférence de presse à West Bay après huit jours d’enquête. Un réquisitoire sans ambigüité montre que la justice au Qatar n’est pas équitable comme nous le dénonçons depuis plusieurs mois. Les autorités qataries qui ont accepté cette enquête pensent remettre de l’ordre.

Pour cela, une fois encore, il faudra affronter le Procureur général Al Marri. Lorsqu’on regarde les classements internationaux des principaux indicateurs sur le Qatar, nous sommes surpris qu’ils ne reflètent pas en ce qui concerne la justice les ingérences insupportables des politiques sur la justice. Nous dénoncions une incapacité d’appliquer des principes simples, de respect des juges, de la procédure, de la défense des accusés, d’un appareil administratif datant du protectorat anglais et autres. Notre crainte est une dérive vers une corruption larvée entrainant le Qatar vers une disqualification internationale.

En deuxième lieu, le prédicateur du Qatar, Youssef al-Qaradaoui, a provoqué la colère des Emirats arabes unis en affirmant que ce pays était contre tout régime islamiste et jetait en prison les partisans d’un tel régime. Le Qatar accueille de plus en plus de personnalités religieuses qu’il ne contrôle guère, comme les frères musulmans.  Mais au-delà de ces « incontrôlables »,  l’émir puisant sa force dans une religion qui rassemble le pays, doit imaginer un wahhabisme du futur détaché de l’omniprésence de l’Arabie saoudite, sans ignorer le chiisme Iranien et les chrétiens. La justice et la religion deux guets-apens dans beaucoup de pays, le deviennent aussi pour le Qatar.

Sept mois plus tard l’émir Tamim montre une certaine résistance aux attaques médiatiques, recadre un peu sa politique étrangère notamment en Egypte et tient bon l’économique.

Il rêve de faire du sport un pilier du Qatar et avec la culture il pense tenir là les bases d’une possible expansion du Tourisme. S’il survit au poison du « kafala » il pourrait devenir « peut être » l’homme de la situation.