Polémiques sur la politique étrangère du Qatar

Cinq événements sont à la base de cet article. Le périple du secrétaire d’état  John Kerry dont une partie se déroule au Moyen Orient et Afrique du nord. La position de l’Arabie saoudite concernant son siège à l’Onu. La semaine passée par l’émir Tamim à faire la tournée des émirats du Golfe. “We must prepare Arab youth to be effective leaders” (Nous devons préparer la jeunesse arabe à être des leaders efficaces) par Bakir Oweida dans Asharq al-Awsat. Et enfin un article des Clés du moyen orient de Pierre-André Hervé qui interroge le spécialiste du Qatar Nidal Shoukeir.

 

La gestion du temps dans un environnement changeant

Une partie de la conclusion de Nidal Shoukeir me sert à introduire le sujet «   Aujourd’hui, on parle de chute de la diplomatie qatarie, surtout depuis le renversement de Mohamed Morsi en Egypte, survenue quelques jours après l’arrivée au pouvoir du nouvel émir. C’est excessif. Il faut laisser un peu de temps à Tamim ben Hamad Al-Thani. L’adaptation au changement nécessite toujours du temps, d’autant plus quand l’équipe au pouvoir est jeune. Les événements en Egypte contraignent le nouveau pouvoir qatari à revoir sa stratégie, cela aussi prend du temps, surtout dans un environnement régional lui-même très changeant. »

Cette notion de la gestion du temps fut évoquée récemment par l’émir Tamim lors de son discours à l’Assemblée de l’ONU. « L’émir Tamim a abordé le sujet de la souffrance du peuple palestinien. Il a placé ce sujet avant la Syrie où il a dénoncé la politique de terre brulée d’Assad. A la fin de son discours il a aussi parlé des armes de destructions massives faisant ainsi référence indirectement aux armes chimiques mais sans doute aussi aux avancées sur l’armement nucléaire Iranien. Concernant la Syrie, il invite les groupes rebelles à unifier leurs efforts pour proposer une solution politique. Parlant du rôle du Qatar, dans sa région, l’émir Tamim a déclaré vouloir être une plaque tournante pour le dialogue et ne pas vouloir prendre part pour l’un ou pour l’autre. Parlant des changements importants dans la région MENA il a souhaité que chacun se rappelle ses propres changements et le temps qu’il a fallu dans chacun de leur pays avant d’arriver à la stabilité et la paix… »

Bakir Oweida,  dans son article « We must prepare Arab youth to be effective leaders » rajoute à la gestion du temps la réconciliation. Il est impossible de fixer l’avenir sans le réconcilier avec le passé. Comment les sociétés arabes qui ont connu des guerres civiles ou entrées en guerre avec leurs voisins peuvent construire de meilleures relations entre leurs futurs dirigeants si l’héritage de l’hostilité est transmis d’une génération à l’autre ? La connaissance des dernières idées sur la politique et de la société ne suffira pas en elle-même à préparer les jeunes à un avenir meilleur. En fait, cela devrait être accompagné par la réconciliation entre les futurs leaders de la nouvelle génération. Sinon, ces dirigeants se retrouveront à gérer l’héritage des haines d’aujourd’hui.

Le déplacement sous forme de tournée cette semaine par l’émir Tamim dans l’ensemble des émirats du Golfe avait-il cet objectif ? A mes yeux rien n’est moins certain.

Qatar ou la tentation de l’intervention

Le départ des « deux Hamad », l’ancien émir et son premier ministre demeure pour le moins précipité. Je ne partage pas l’avis Nidal Shoukeir lorsqu’il dit « L’émir a abdiqué de son propre chef. » C’est bien parce qu’il est passé de la médiation à l’intervention que l’émir Hamad et son bouillonnant premier ministre on été poussé au départ. Ce sont deux équipes bien différentes et complémentaires qui ont œuvrées l’une pour la médiation l’autre pour l’intervention. Les deux étaient ces dernières années sous l’autorité de Tamim qui rendait compte à son père. L’équipe d’intervention n’a pas disparue, suite au départ de l’émir Hamad, elle a été simplement mise en « pause » 3 à 4 mois et elle vient de reprendre du service. Tamim et son père n’ont pas investi plusieurs dizaines de milliards sur des pays et surtout des groupes pour balayer d’un seul coup cet investissement, fait au détriment souvent des infrastructures du Qatar. L’intervention directe a été même expérimentée, grâce à la diplomatie française, en Lybie. Cette intervention directe est la troisième étape qu’il faut redouter le plus.

Le Qatar et son émir Tamim ne vont pas se satisfaire d’un simple « soft power » et de l’intervention de groupes dont ils ne maitrisent pas toujours l’efficacité et les objectifs. Voila un homme jeune qui a vécu en écoutant les exploits des anciens émirs, en voyant son père et sa mère porter toute une nation à bout de bras et lui devenir un simple politicien de bureau ? Il suffit de regarder son gouvernement et les deux mots d’ordres « discipline et réussite » et voir que l’essentiel du gouvernement est passé par une fonction militaire pour imaginer qu’une possibilité réelle d’intervention directe existe. Ce qui manque à  l’émir c’est du matériel. Pour transporter ses futurs chars allemands Léopard 2 il lui faudra des gros porteurs. Mais son ambition et surtout de s’équiper en Rafales ou en équivalent. Il ne souhaite pas remplacer sa douzaine de Mirages il en veut 72. Que quelqu’un m’explique à quoi peuvent servir 72 Rafales pour un pays comme le Qatar qui est sous couverture de la plus grande base au monde externe américaine ?

Tamim s’il a cet armement s’en servira et personne n’est à l’abri même pas l’Arabie saoudite. C’est l’équivalent des armes chimiques d’Assad, il ne devait pas s’en servir mais pourtant il l’a fait.

En attendant de disposer de ces moyens d’intervention que la France et d’autres s’empressent de lui vendre il utilise tantôt la médiation tantôt il continue à nourrir des groupes externes au Qatar pour intervenir dans la zone Moyen Orient Afrique du Nord. CNN World vient de publier un article intitulé « Saudi Arabia, Qatar may be playing dangerous game over Syria rebels » qui illustre ce propos.

La bataille pour le leadership du Golfe et au-delà

Pendant des décennies l’Arabie saoudite  a été le financeur et pilote des événements du Golfe et de l’Afrique du Nord sous l’œil bienveillant des américains qui mettaient aussi la main à la poche. Les divergences entre américains   et saoudiens ont grandi au point que la base américaine qui surveillait cette partie de la planète fut déménagée au Qatar. Saisissant cette opportunité alors que le pouvoir saoudien doutait de lui-même l’émir Hamad fit alliance avec la Confrérie et ensemble partirent à la conquête des pays « du printemps arabe ». Si la population de ces pays est à l’origine de ce mouvement de fond, la préparation et les moyens avant pendant et après sont l’œuvre pour l’essentiel du Qatar et des américains. Pendant quelques temps les américains ont toléré que le puceron qatarien remplace le lion saoudien. Le roi de l’Arabie saoudite et surtout son entourage proche ont fait les efforts nécessaire pour rétablir des liens avec les américains pour que l’équilibre revienne dans la région et indiquant qu’ils en assureraient le financement. La condition fut l’écrasement du puceron. En apparence les américains donnent raison aux saoudiens et à ses alliés. Pendant que le Lion montre ses muscles et parade sous le soleil des pyramides libérées de la Confrérie, le puceron sentant sa fin venir part avant d’être écrasé. Il confie à son fils le pouvoir, lui demande de mettre en pause son équipe intervention et de mettre au premier plan son équipe médiation. « Je te demande mon fils de te tenir tranquille 4 mois ». Le nouvel émir, vierge politiquement, jeune et beau n’a que deux mots à la bouche modestie et réconciliation.

Personne dans le Golfe ne croit un seul instant que l’émir Tamim restera sur cette position là très longtemps. John Kerry va dans sa tournée dans le Golfe essayer de rassurer l’Arabie saoudite qui vient de montrer son mécontentement en refusant de siéger à l’ONU, va demander à Tamim de se tenir tranquille encore quelques temps et montrer à tous que les américains contrôlent cette partie du monde. John Kerry aura beaucoup de mal, à être crédible, avec un président OBAMA de plus en plus affaibli.

La question que l’on est en droit de se poser est : Hamad à pu sauver la face en passant le pouvoir à Tamim, mais si demain Tamim dérape dans sa politique interventionniste qui pourra le remplacer puisque il n’a pas de successeur prêt à le remplacer ? La tribu Al Thani pourrait-elle être en danger ?  Ces questions montrent sans doute les limites de l’action possible d’un Tamim « raisonnable ». Mais l’est-il réellement ? L’avenir nous le dira.