La privatisation du Printemps arabe

Un article d’Ali Ibrahim dans le journal ASHARQ AL-AWSAT sur ce sujet appelle quelques remarques. Elles portent uniquement sur la partie de l’analyse qui touche aux institutions étatiques et ou à la notion d’intérêt général…

 

La Lybie, les moyens économiques ne font pas tout

Le propos d’Ali Ibrahim est intéressant sur plusieurs points «  La Lybie…  serait en mesure d’utiliser ses ressources pétrolières et réaliser une croissance économique rapide… », Notamment si elles ne servent plus à des aventures propagandistes comme dans le passé. Or, l’auteur de l’article indique que dans une tentative de s’octroyer ces ressources les « milices » ont fait chuter la production des activités pétrolières de 70 %.  « Ces milices ont menacé de frapper les navires entrant dans les ports si le gouvernement expédie du pétrole illégitime.» On assiste à une privatisation du printemps arabe Libyen au profit des milices qui estiment avoir joué un rôle essentiel dans ce processus.  En outre, « Le problème en Libye est que l’ancien régime a délibérément affaibli les institutions étatiques et laissé des désaccords territoriaux non résolus, dont certains sont entourés par un sentiment d’injustice »

 

La construction durable d’un pays repose sur l’intérêt général

 

En Lybie, ces milices ne veulent pas attendre un État efficace avec des institutions qui redistribue les richesses, sans doute elles n’y croient pas. Une autre approche est celle des frères musulmans en Egypte, une Fraternité très organisée. Ali Ibrahim écrit « La Fraternité a tenté de monopoliser le pouvoir et imposer sa vision, au lieu de construire un consensus et donc privatiser le printemps arabe à son profit. Après un an, elle  a subi une défaite historique et elle est encore trop myope pour voir à quel point elle est rejetée par l’opinion publique. » Les ressources financières ou un parti qui prend le pouvoir même très organisé ne suffisent pas.

Ali Ibrahim conclut avec ces propos « … le printemps dans son sens réel est encore à venir, et prendra un certain temps. La leçon la plus importante tirée des deux ans et demi écoulés est que la réalisation de changement dans les sociétés est extrêmement difficile et prend du temps. En outre, le pire scénario est que chaque partie tente de voir la société du point de vue de son idéologie étroite, au lieu de parvenir à un consensus sur un cadre commun qui est satisfaisant pour tous et prépare le terrain pour une forme civile et normale de la concurrence politique. »

 

Le Qatar et son intérêt général particulier

Dire qu’il n’y a pas d’aspiration à une gestion du pays autrement que par une monarchie est une erreur à ne pas commettre. L’émir fait tout pour retarder le moment d’une « certaine confrontation politique. » Le report des élections législatives est un exemple qui illustre mon propos. Pour autant peut on dire qu’il n’y a pas d’intérêt général dans ce pays ?

Il y a une réelle culture du pays Qatar avec un renforcement du nationalisme poussé à l’outrance quelque fois. Le récent propos du ministre des affaires étrangères pour le moins surprenant « chaque Qatari vaut autant qu’une nation » en est un exemple. La redistribution des richesses aux autochtones, une organisation étatique réelle même si l’efficacité peut être améliorée, fait penser à un intérêt général.

L’émir Hamad avait compris qu’il fallait ouvrir la société et donner la parole « aux citoyens », tout le monde peut retrouver facilement ses discours où avec force il affirme la différence avec les autres états du Golfe. Le même émir Hamad avant de partir a « tordu le coup » aux élections législatives, encore une symphonie inachevée.

L’émir Tamim lui devra faire cette évolution qui à mon avis ne touchera en rien son pouvoir et peut sans doute même le conforter. Il a l’habitude de travailler en « collaboratif ». Il ne faudrait pas que parce qu’il est devenu émir qu’il s’isole dans ces tours de Doha où on a du mal à voir le sol. Il doit passer d’un intérêt général particulier au Qatar à un intérêt général tout court.