
Le Festival d’Avignon n’a pas encore levé son rideau, mais déjà, dans l’air vibrant de juillet, un mot s’impose : ensemble. Non comme un slogan plaqué, mais comme une vibration souterraine qui irrigue la programmation, les gestes artistiques, et peut-être même notre besoin de faire récit commun.
Avignon 2025 : Ensemble, comme une évidence
À distance, depuis le calme feutré de mon bureau, je m’apprête à traverser ce festival avec mes sens tendus vers l’invisible. Car Avignon est un théâtre qui déborde de ses murs : ce sont des corps qui dansent pour traduire ce que les mots n’osent dire, des langues qui se croisent et se frottent, des spectateurs aux parcours dissonants qui s’assoient dans l’ombre d’une même cour pour écouter, vibrer, questionner. Pour m’aider, sur le terrain une équipe, Lucie, Noura, Enzo et puis Bello.
Avignon sous tension : avant l’orage, la chaleur
Cette année du 5 au 26 juillet 2025, les festivals In et Off se tiennent simultanément pour la première fois depuis 25 ans. Ce n’est un hasard, depuis sa nomination en 2022, Tiago Rodrigues a réussi à réenchanter Avignon tout en gardant une ligne artistiquement audacieuse et politiquement engagée.
Les premiers panneaux sont accrochés, les tracts s’accumulent sous les essuie-glaces, les artistes répètent à voix basse dans les jardins discrets. Avignon bruisse déjà, mais c’est encore un murmure. Un technicien monte une structure en plein soleil, un gamin joue à faire voler un programme plié comme un avion. Tout est là, presque visible.
Une plongée dans l’âme du Festival
Les clés du festival – Une mémoire vivante à la Maison Jean Vilar
En plein cœur d’Avignon, la Maison Jean Vilar accueille désormais une nouvelle installation permanente qui fera battre le cœur des amateurs de théâtre : Les clés du festival. Véritable capsule temporelle, cette exposition retrace l’évolution du Festival d’Avignon depuis ses débuts en 1947 jusqu’à aujourd’hui. Plus qu’une simple rétrospective, Les clés du festival se veut un lieu de transmission : aux jeunes générations, aux curieux, aux artistes en devenir. On y sent le lien entre mémoire et création, tradition et renouveau, qui fait toute l’identité du Festival d’Avignon.

Le thermomètre grimpe et l’imaginaire s’échauffe. À l’approche du 5 juillet, la ville d’Avignon semble retenir son souffle.
Journal d’Avignon, J-2 : ce que murmure la ville
C’est un jour où les pavés semblent réfléchir la lumière plus qu’ils ne la renvoient. Avignon prend son temps, mais plus pour longtemps. L’effervescence n’est plus souterraine, elle monte aux coins des rues, entre les mains qui agrafent une dernière affiche, sous les voix qui répètent à mi-voix derrière des portes entrouvertes.
Les voix se mélangent. Les langues se croisent. On entend de l’italien, de l’arabe, du portugais, des fragments de scènes criés dans le vide, comme si la ville elle-même était en pleine répétition générale. Cette journée du 3 juillet ne dit encore rien, mais elle propose des indices : ce sera dense, ce sera multiple. Et parfois, ce sera absurde.
Cour d’honneur du Palais des Papes à Avignon
Il y a des lieux qui ne sont pas seulement des décors, mais des personnages. La Cour d’honneur du Palais des Papes est de ceux-là. Monument gothique, austère et majestueux, elle fut investie pour la première fois par Jean Vilar en 1947, avec Richard II de Shakespeare. Ce fut un pari fou : faire résonner les mots du théâtre dans un lieu de pouvoir, de silence et de pierre.
Depuis, chaque été, la Cour devient le cœur battant du Festival d’Avignon. 2 000 spectateurs, assis dans la nuit provençale, les yeux levés vers une scène à ciel ouvert. Les mots y prennent une autre densité. Les silences y deviennent des événements.

Dernier souffle avant la scène
Demain, tout commencera. Mais aujourd’hui, la ville est encore dans l’entre-deux. Trop tard pour préparer, trop tôt pour comprendre. C’est une journée de battement, de battement de cœur.
Carte muette — Noura
« Rue du Rempart, 15 h 41. Un enfant s’est endormi contre un mur couvert d’affiches. Sa tête dépasse juste au niveau d’un mot : ‘répéter’. » « Pas un bruit. Même le vent semblait écouter. »
Note confidentielle : Lucie ne l’a pas vu. Mais sur la photo qu’elle m’a envoyée — floue, mal cadrée — il y avait une silhouette en fond, dans l’ombre d’un porche. Masque vénitien, manteau trop long. Presque un mirage. Dans mon courrier ce matin, une carte postale vierge, datée de 1966. Même écriture qu’un vieux programme oublié. Au dos, une phrase manuscrite : « Le corps entre en scène. Le silence s’incline. » Personne ne signe. Mais je crois que Bello m’a trouvé.
Une soirée d’avant-premières gratuites
Le Festival d’Avignon 2025 propose aujourd’hui, 4 juillet, une soirée d’avant-premières gratuites spécialement dédiée aux habitants du territoire, ainsi qu’aux structures éducatives, sociales, associatives et médico-sociales partenaires du Festival. Une belle manière de lancer les festivités.
Le théâtre au bord du vertige
Carrière de Boulbon – Festival d’Avignon
À quinze kilomètres d’Avignon, dans la Montagnette, une ancienne carrière de pierre s’ouvre comme un amphithéâtre naturel. C’est là, en 1985, que Peter Brook installe son Mahabharata, fresque de neuf heures jouée sous les étoiles. Il cherchait un lieu vierge, brut, sans passé théâtral. Il a trouvé un sanctuaire.
A la veille du festival, un cri ! Festival d’Avignon 2025, la Parade du Off
C’est l’un des moments les plus festifs et emblématiques du Festival Off d’Avignon, marquant le lancement de cette grande célébration du spectacle vivant. Les compagnies investissent les rues pour présenter leurs spectacles et inviter le public à découvrir la richesse du théâtre indépendant.

Le rideau se lève, ailleurs aussi
Aujourd’hui, depuis mon bureau à Châtellerault, j’écoute battre le cœur d’Avignon. Il pulse à travers les voix, les pas, les regards. Le Festival s’ouvre, et avec lui, une brèche dans le quotidien. Ce journal est une tentative : celle de capter l’écho d’un ailleurs, de le traduire en sensations, en fragments, en récits. Ce 5 juillet, la Cour d’honneur s’illumine, mais c’est ici, dans le silence d’une pièce familière, que je tends l’oreille.
Billet de Lucie – “Billet de gradin”
J’ai vu les premiers visages se tendre vers le Palais des Papes. Il faisait chaud, les pierres vibraient. À 10h30, j’ai choisi la matinale au Cloître Saint-Louis. Bouchra Ouizguen parlait avec les mains, Anne Teresa De Keersmaeker avec les silences. J’ai noté : “le corps est une archive”. Puis j’ai marché, longtemps, jusqu’à l’exposition de François Tanguy. Des traits, des ombres, des silences encore. Ce soir, j’irai voir NÔT. Je veux que la nuit me parle.
NÔT : qu’est-ce qu’on en dit ? – par Enzo
Sur un banc, juste avant que ça commence, j’ai entendu : — “Tu sais ce que tu vas voir ce soir ?” — “Pas vraiment. Mais j’ai lu que c’était intense.” — “Tant mieux. J’ai pas envie d’un truc tiède.” — “Moi non plus. J’veux que ça me retourne un peu.” — “Alors on est au bon endroit.” Ils ont souri, ils ont sorti des éventails, et ils ont attendu que la nuit tombe.
Clôture – par Bello
Il a griffonné sur un coin de nappe, dans un bistrot d’Avignon :
“Hier soir, j’ai vu des corps qui criaient sans bouche. J’ai vu des silences qui dansaient. J’ai vu le théâtre me regarder.”
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