Journal d’Avignon, J-2 : ce que murmure la ville

C’est un jour où les pavés semblent réfléchir la lumière plus qu’ils ne la renvoient. Avignon prend son temps, mais plus pour longtemps. L’effervescence n’est plus souterraine, elle monte aux coins des rues, entre les mains qui agrafent une dernière affiche, sous les voix qui répètent à mi-voix derrière des portes entrouvertes.

Ensemble, le 3 juillet 2025

Je n’y suis pas, mais Enzo y est. Et voici ce qu’il m’envoie, à mi-journée, avec ce mélange d’ironie douce et d’attention précise qui le caractérise.

Carnet de terrain — Enzo « Rue de la Balance, 12h12. Je m’étais arrêté pour un café tiède et un croissant qui s’émiettait comme un vieux souvenir. À la table d’à côté, un monsieur au chapeau de paille lisait La Provence de 1971. Oui, 1971. Je lui ai demandé s’il collectionnait les archives. Il m’a répondu : — Non, je collectionne les commencements. »

Il s’appelait Marcel, 92 ans, voix douce et regard clair. Il m’a raconté qu’il avait 17 ans en 1947, quand un certain Jean Vilar est arrivé à Avignon avec trois pièces sous le bras et une idée un peu folle : faire du théâtre dans la Cour d’honneur du Palais des Papes.

« On n’avait jamais vu ça. Le théâtre, c’était pour les Parisiens, pas pour nous. Et là, on se retrouvait à écouter Shakespeare sous les étoiles. C’était comme si les pierres elles-mêmes écoutaient. »

Il m’a dit que la scène avait été montée par des soldats du génie, que les fauteuils étaient bancals, et que la lumière venait de projecteurs empruntés à l’armée. — « Mais ce soir-là, on était tous riches. Riches de mots, de silences, de frissons. »

Il m’a tendu un vieux billet d’entrée, jauni, fragile. — « Tiens, garde-le. C’est pas un souvenir, c’est une promesse. »

Je l’ai remercié. Et j’ai noté dans mon carnet : « Le festival n’a pas commencé en 1947. Il commence chaque fois qu’un inconnu vous raconte pourquoi il y croit encore. »

Ce qui affleure

Les voix se mélangent. Les langues se croisent. On entend de l’italien, de l’arabe, du portugais, des fragments de scènes criés dans le vide, comme si la ville elle-même était en pleine répétition générale. Cette journée du 3 juillet ne dit encore rien, mais elle propose des indices : ce sera dense, ce sera multiple. Et parfois, ce sera absurde.

Ce que capte Enzo n’est pas un compte rendu, c’est un climat. Un air. Un tout petit pas de côté qui dit “regarde bien, ça commence là”.

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