Conseil constitutionnel : Décision sur la loi pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration

Communiqué de presse sur la Décision n° 2023-863 DC. Loi pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration : Non conformité partielle – réserve.

Le 25 janvier 2024

Pour motif de procédure et en application d’une jurisprudence constante, le Conseil constitutionnel censure 32 articles de la loi pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration, qui comptait 86 articles. Il censure en outre au fond, partiellement ou totalement, 3 de ses articles et assortit de réserves d’interprétation 2 autres articles. Il déclare partiellement ou totalement conformes à la Constitution 10 articles de la loi déférée, dont celui relatif à l’engagement de l’étranger de respecter les principes de la République.

Par sa décision n° 2023-863 DC du 25 janvier 2024, qui compte 276 paragraphes le Conseil constitutionnel s’est prononcé sur la loi pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration. Il en avait été saisi par le Président de la République, par la Présidente de l’Assemblée nationale et par deux recours émanant, l’un, de plus de soixante députés et, l’autre, de plus de soixante sénateurs.

* Soit en réponse à des griefs des requérants, soit en s’en saisissant d’office, le Conseil constitutionnel censure partiellement ou totalement 32 articles comme « cavaliers législatifs ».

– Par sa décision de ce jour, le Conseil constitutionnel rappelle que, aux termes de la dernière phrase du premier alinéa de l’article 45 de la Constitution : « Sans préjudice de l’application des articles 40 et 41, tout amendement est recevable en première lecture dès lors qu’il présente un lien, même indirect, avec le texte déposé ou transmis » et qu’il lui appartient de déclarer contraires à la Constitution les dispositions qui sont introduites en méconnaissance de cette règle de procédure.

En application d’une jurisprudence constante, il s’assure dans ce cadre de l’existence d’un lien entre l’objet de l’amendement et celui de l’une au moins des dispositions du texte déposé sur le bureau de la première assemblée saisie. Depuis la loi constitutionnelle n° 2008-724 du 23 juillet 2008, il ne déclare des dispositions contraires à l’article 45 de la Constitution que si un tel lien, même indirect, ne peut être identifié. Il apprécie l’existence d’un tel lien après avoir décrit le texte initial puis, pour chacune des dispositions déclarées inconstitutionnelles, les raisons pour lesquelles elle doit être regardée comme dépourvue de lien même indirect avec celui-ci. En l’absence d’un tel lien, lorsqu’il déclare inconstitutionnelles des dispositions de la loi, le Conseil constitutionnel ne préjuge pas de la conformité du contenu de ces dispositions aux autres exigences constitutionnelles.

* À cette aune, le Conseil constitutionnel relève que la loi déférée, qui comporte quatre-vingt-six articles, répartis en huit titres, a pour origine le projet de loi déposé le 1er février 2023 sur le bureau du Sénat, première assemblée saisie. Ce projet comportait vingt-sept articles répartis en six titres.

Analysant l’objet de ces dispositions issues d’amendements au regard du périmètre du projet de loi initial, le Conseil constitutionnel censure comme adoptés en méconnaissance de l’article 45 de la Constitution, notamment :

– les articles 3, 4 et 5 modifiant certaines conditions permettant à un étranger en situation régulière d’être rejoint, au titre du regroupement familial, par des membres de sa famille ;

– les articles 6 et 8 modifiant certaines conditions relatives au lien que l’étranger doit avoir avec un ressortissant français ou un étranger titulaire de la carte de résident pour se voir délivrer un titre de séjour pour motif familial ;

– les articles 9 et 10 modifiant certaines conditions de délivrance d’un titre de séjour pour un motif tenant à l’état de santé de l’étranger ;

– les articles 11, 12 et 13 relatifs, d’une part, à certaines conditions de délivrance d’un titre de séjour pour motif d’études et, d’autre part, aux frais d’inscription des étudiants étrangers dans certains établissements d’enseignement supérieur ;

– l’article 15 excluant les étrangers en situation irrégulière du bénéfice de la réduction tarifaire accordée en Île‑de‑France pour certains titres de transport aux personnes remplissant des conditions de ressources ;

– l’article 16 prévoyant qu’un visa de long séjour est délivré de plein droit aux ressortissants britanniques propriétaires d’une résidence secondaire en France ;

– l’article 17 sanctionnant notamment d’une peine d’amende délictuelle le séjour irrégulier d’un étranger majeur ;

– l’article 19 soumettant le bénéfice du droit au logement, de l’aide personnelle au logement, de l’allocation personnalisée d’autonomie et des prestations familiales pour l’étranger non ressortissant de l’Union européenne à une condition de résidence en France d’une durée d’au moins cinq ans ou d’affiliation au titre d’une activité professionnelle depuis au moins trente mois ;

– les articles 24, 25, 26 et 81 réformant certaines règles du code civil relatives au droit de la nationalité ;

– les paragraphes III et IV de l’article 47 prévoyant que l’aide internationale au développement doit prendre en compte le degré de coopération des États en matière de lutte contre l’immigration irrégulière ;

– l’article 67 modifiant les conditions d’hébergement d’urgence de certaines catégories de personnes sans abri ou en détresse.

* Est en outre partiellement censuré au fond l’article 1er de la loi déférée prévoyant la fixation par le Parlement du nombre d’étrangers autorisés à s’installer en France.

Ces dispositions visaient à imposer la tenue d’un débat annuel au Parlement sur les orientations pluriannuelles de la politique d’immigration et d’intégration et la remise par le Gouvernement d’un rapport au Parlement. Elles prévoyaient en outre que le Parlement détermine, pour les trois années à venir, le nombre des étrangers admis à s’installer durablement en France, pour chacune des catégories de séjour à l’exception de l’asile, compte tenu de l’intérêt national, et précisaient que l’objectif en matière d’immigration familiale est établi dans le respect des principes qui s’attachent à ce droit.

Faisant application d’une jurisprudence constante, le Conseil constitutionnel juge qu’il ne résulte ni de l’article 48 de la Constitution ni d’aucune autre exigence constitutionnelle que le législateur peut imposer au Parlement l’organisation d’un débat en séance publique ou la fixation par ce dernier de certains objectifs chiffrés en matière d’immigration. Une telle obligation pourrait faire obstacle aux prérogatives que le Gouvernement ou chacune des assemblées, selon les cas, tiennent de la Constitution pour la fixation de l’ordre du jour.

Le Conseil constitutionnel juge en revanche que le reste de l’article 1er, qui se borne à prévoir la remise d’un rapport destiné à assurer l’information du Parlement, ne méconnaît aucune exigence constitutionnelle.

* Est également censuré au fond l’article 38 de la loi déférée autorisant le relevé des empreintes digitales et la prise de photographie d’un étranger sans son consentement.

Selon cet article, l’officier de police judiciaire peut recourir à la contrainte pour procéder à la prise d’empreintes ou de photographie d’un étranger, en cas de refus caractérisé de ce dernier de se soumettre à ces opérations à l’occasion d’un contrôle aux frontières extérieures ou dans le cadre d’un placement en retenue aux fins de vérification de son droit de circulation ou de séjour sur le territoire français. Ce recours à la contrainte, qui ne peut concerner les mineurs, est strictement proportionné et tient compte de la vulnérabilité de la personne.

Par sa décision de ce jour, le Conseil constitutionnel rappelle qu’il résulte des articles 2, 4 et 9 de la Déclaration de 1789 le principe selon lequel la liberté personnelle ne saurait être entravée par une rigueur qui ne soit nécessaire.

À cette aune, il juge que, en adoptant ces dispositions, le législateur a entendu faciliter l’identification des étrangers en situation irrégulière. Il a ainsi poursuivi l’objectif de lutte contre l’immigration irrégulière qui participe de la sauvegarde de l’ordre public, objectif de valeur constitutionnelle.

Toutefois, d’une part, ces dispositions se bornent à prévoir que l’officier de police judiciaire qui décide de procéder à la prise d’empreintes ou de photographie sans le consentement de l’intéressé en informe préalablement le procureur de la République. Ces opérations ne sont ainsi ni soumises à l’autorisation de ce magistrat, saisi d’une demande motivée en ce sens, ni subordonnées à la démonstration qu’elles constituent l’unique moyen d’identifier la personne qui refuse de s’y soumettre.

D’autre part, ni les dispositions contestées ni aucune autre disposition ne prévoient que, lorsque la personne contrôlée ou retenue a demandé l’assistance d’un avocat, la prise d’empreintes digitales ou de photographie sans son consentement doit être effectuée en la présence de ce dernier.

De ces motifs, le Conseil constitutionnel déduit que les dispositions contestées privent de garanties légales les exigences constitutionnelles précitées.

* Le Conseil constitutionnel a par ailleurs assorti de réserves d’interprétation la déclaration de conformité à la Constitution des articles 14 et 42 de la loi déférée.

Se prononçant sur la conformité à la Constitution de l’article 14, qui prévoit, à titre expérimental, que, lorsque l’autorité administrative envisage de refuser de délivrer ou de renouveler un titre de séjour demandé par un étranger, elle examine tous les motifs susceptibles de fonder la délivrance de certains autres titres de séjour et que, en cas de refus de son admission au séjour, toute nouvelle demande présentée par l’étranger avant l’expiration du délai d’un an est déclarée irrecevable, sauf éléments de fait ou de droit nouveaux, le Conseil constitutionnel juge notamment que, sauf à méconnaître les libertés et droits fondamentaux de valeur constitutionnelle reconnus à tous ceux qui résident sur le territoire de la République, ces dispositions doivent s’entendre comme imposant à l’autorité administrative d’informer l’étranger, lors du dépôt de sa demande, qu’il doit transmettre l’ensemble des éléments justificatifs permettant d’apprécier sa situation au regard de tous les motifs susceptibles de fonder la délivrance de l’un des titres de séjour visés par l’expérimentation.

Se prononçant sur l’article 42 de la loi déférée qui porte à un an, renouvelable deux fois, la durée de l’assignation à résidence dont peuvent faire l’objet certains étrangers soumis à une mesure d’éloignement, le Conseil constitutionnel juge notamment que le renouvellement de la mesure d’assignation à résidence au-delà d’une durée d’un an en accroît la rigueur. Dès lors, il appartient à l’autorité administrative de retenir, lors de chaque renouvellement, des conditions et des lieux d’assignation à résidence tenant compte, dans la contrainte qu’ils imposent à l’intéressé, du temps passé sous ce régime et des liens familiaux et personnels noués par ce dernier.

* Dix autres articles de la loi déférée sont partiellement ou totalement déclarés conformes à la Constitution.

Au nombre des dispositions ainsi déclarées conformes figure l’article 46 de la loi déférée prévoyant que l’étranger qui souhaite obtenir la délivrance d’un document de séjour est tenu de souscrire un contrat par lequel il s’engage à respecter les principes de la République.

Le Conseil constitutionnel juge notamment que, loin de méconnaître des exigences constitutionnelles, le législateur a pu, pour en assurer la protection, prévoir qu’un étranger qui sollicite la délivrance d’un document de séjour doit s’engager à respecter des principes, parmi lesquels figure la liberté d’expression et de conscience, qui s’imposent à tous ceux qui résident sur le territoire de la République.

À cette fin, c’est à bon droit qu’il a imposé désormais aux ressortissants étrangers, qui ne se trouvent pas dans la même situation que celle des nationaux, la souscription d’un contrat prévoyant l’engagement de respecter la liberté personnelle, la liberté d’expression et de conscience, l’égalité entre les femmes et les hommes, la dignité de la personne humaine, la devise et les symboles de la République au sens de l’article 2 de la Constitution, l’intégrité territoriale, définie par les frontières nationales, et de ne pas se prévaloir de ses croyances ou de ses convictions pour s’affranchir des règles communes régissant les relations entre les services publics et les particuliers.