La nature de l’inflation étant différente de part et d’autre de l’Atlantique, la réponse de politique monétaire doit l’être aussi.
Discours de François Villeroy de Galhau, Gouverneur de la Banque de France à Eurofi
Prague, 9 septembre 2022, Mesdames, Messieurs,
C’est avec grand plaisir que je m’adresse à vous aujourd’hui à l’occasion de cette édition d’Eurofi, même si je regrette profondément de ne pas pouvoir être à Prague en personne. Je tiens à remercier chaleureusement David Wright et Didier Cahen pour l’organisation de cet événement. Permettez-moi tout d’abord d’adresser mes sincères condoléances à nos amis britanniques : la Reine avait un sens du devoir et un sens de la stabilité qui continueront, je l’espère, de nous guider dans cette période de grande volatilité.
Nous traversons en effet une période extrêmement incertaine et difficile. Les économies européennes et française connaîtront l’année prochaine un ralentissement significatif, et l’hypothèse d’une récession limitée ne peut être exclue. Afin de nous éclairer, permettez-moi de citer, comme je l’ai fait il y a quelques jours à Jackson Hole, deux compatriotes : premièrement, un philosophe – Voltaire – qui a dit que « le doute est un état mental désagréable, mais la certitude est ridicule » ; et deuxièmement, un économiste – Olivier Blanchard – avec les mots suivants « il faut que la politique monétaire soit plus proche d’un art si elle est fréquemment confrontée à des événements imprévus, mal anticipés et mal compris ».
Alors, entre l’art et la science, comment avons-nous, hier, fait face à l’incertitude actuelle ?
Nous avons décidé d’anticiper (frontload) la normalisation de notre politique monétaire. Nous l’avons fait parce que l’inflation est trop élevée, et particulièrement l’inflation sous-jacente qui s’établit à 4,3 % : il y a, c’est certain, une composante significative liée à l’énergie et à l’offre dans l’inflation de la zone euro ; mais celle-ci devient également plus large et plus « interne », et c’est là que nous devons agir. Et deuxièmement, nous montrons clairement notre détermination à ramener l’inflation à 2 % à moyen terme : il ne s’agit pas seulement de notre cible, c’est notre engagement envers les citoyens européens ; notre volonté et notre capacité à remplir notre mandat ne peuvent absolument pas être mises en doute.
Cela étant, le relèvement significatif décidé hier peut soulever deux questions :
– Quelle sera la prochaine décision ? Soyons clairs : nous disposons d’une liberté totale. Personne ne doit spéculer sur le fait que la prochaine étape sera de même ampleur – il ne s’agit pas pour nous d’une nouvelle habitude d’opérer des relèvements significatifs (« jumbo habit ») ; ni de simplement imiter d’autres grandes banques centrales. Nous allons de toute évidence dans la même direction qu’elles, mais pas nécessairement à la même vitesse ou avec le même niveau final : la nature de l’inflation étant différente de part et d’autre de l’Atlantique, la réponse de politique monétaire doit l’être aussi.
– Et cela soulève fréquemment une seconde question : qu’en est-il de la destination du voyage ? Honnêtement, il est trop tôt pour le dire : nous connaissons le taux final de l’inflation, 2 % ; mais nous ne connaissons pas encore le taux d’intérêt en fin de période (terminal interest rate), ou les taux directeurs qui assureront le retour au plus tôt de l’inflation vers notre cible, tandis qu’il n’y a pas de raison pour que les anticipations sur ceux-ci augmentent.
Permettez-moi plutôt d’apporter un éclairage sur la première partie du voyage, la normalisation jusqu’au taux neutre ; bien sûr, ce taux n’est pas observable, mais on peut, selon moi, l’estimer comme étant inférieur à ou proche de 2 % dans la zone euro. J’utilise parfois une métaphore simple : tant qu’il s’agit de lever le pied de l’accélérateur, il est certain que nous devons agir, de manière déterminée mais ordonnée, et nous devrions atteindre notre objectif d’ici la fin de l’année. Par la suite, la question pourrait se poser d’actionner les freins et de durcir notre politique si nécessaire : mais cette partie du voyage reste aujourd’hui une question ouverte et méritera une nouvelle analyse et une réflexion approfondie en temps voulu.
Je voudrais encore ajouter un dernier point, évident, suite à la décision prise hier : elle marque le retour des taux d’intérêt en territoire positif. Cette étape historique s’accompagne de multiples dimensions qui doivent être reconsidérées : notre cadre opérationnel, nos opérations TLTRO, nos mécanismes de rémunération des réserves des banques. Comme annoncé hier par Christine Lagarde, ces questions seront traitées sans attendre.
Puis-je ajouter que dans une perspective de long terme, la politique monétaire ne peut constituer la seule option possible ? Il revient à l’Europe de remédier à ses contraintes d’offre et de relever les défis qui se présentent à elle, en lien avec deux politiques structurelles : premièrement, la transition énergétique, à commencer par la révision de la tarification de l’électricité, trop volatile ; deuxièmement, l’amélioration de la formation et de l’employabilité de la population active. On ne peut laisser perdurer dans de nombreux pays européens, dont la France, des pénuries de main-d’œuvre aussi importantes alors que le chômage se situe encore à plus de 7 %.
En conclusion, permettez-moi de citer le célèbre écrivain franco-tchèque Milan Kundera : « Le romancier apprend à ses lecteurs à comprendre le monde comme une question. […] Dans un monde bâti sur des sacro-saintes certitudes, le roman est mort. » Pour nous, banquiers centraux, une seule chose est certaine, mais elle est fondamentale : nous ferons tout ce qui est en notre pouvoir pour remplir notre mandat de maintien de la stabilité des prix. Et comme dans les bons romans, malgré les incertitudes, nous parviendrons à cet heureux dénouement. Je vous remercie de votre attention.