Le salariat, un modèle dépassé ?

La revue de presse de Gérard CLEMENT responsable du CENTRE RHONE –ALPES D’INGENERIE SOCIALE SOLIDAIRE & TERRITORIALE

Il est temps de repenser profondément les rapports au travail

Dans un document publié par La Fabrique de l’Industrie deux ingénieurs du corps des Mines, Alexandre Chevalier et Antonin Milza, interrogent les équilibres entre salariat et travail indépendant partant de quelques affirmations que nous entendons tous : « Le CDI c’est dépassé », « livreur à vélo, c’est de l’esclavage moderne », « demain tous indépendants »…

Revisitant la situation historique des XIXe et XXe siècles et celle du début de notre siècle, ils déconstruisent l’affirmation rapide sur la fin du salariat mais en démontrent l’évolution tout en brossant un tableau du travail indépendant aujourd’hui. Cette étude propose une méthodologie pour explorer la recomposition des équilibres entre salariat et travail indépendant, et débouche sur des pistes concrètes, inspirées par diverses expériences, en France et à l’étranger. Par ailleurs, les auteurs réinterrogent les attentes et besoins des travailleurs et des employeurs autour du triptyque : liberté, sécurité, dignité. 

Non, le salariat n’est pas mort

Contrairement à ce que l’on pourrait croire, le travail salarié est aujourd’hui plus important que jamais. Il représentait 56 % de l’emploi total en 1900, 65 % en 1950, 85 % en 1989 et 89,65 % au 31 décembre 2015.

Mais sa structure a évolué

Les formes de contrats atypiques (courts ou à temps partiel) et la pluriactivité se développent. On constate une fracture générationnelle vis-à-vis du CDI. Moins d’un actif de 15-25 ans sur deux (45 %) est employé en CDI alors que c’était le cas des trois quarts (77 %) dans les années 1980. Lui-même évolue avec des formes de CDI plus précaires (CDI intermittent ou CDI de chantier). Les entreprises externalisent une part croissante de leurs tâches à des sous-traitants offrant des conditions de travail moins attrayantes et des situations plus précaires.

Le travail indépendant n’est pas homogène et masque des réalités très différentes

D’une part, on trouve des travailleurs aux profils qualifiés, aux compétences reconnues, qui vivent bien de leur activité, certaines très lucratives et d’autre part, des indépendants qui travaillent pour un ou des donneurs d’ordre dont ils sont économiquement dépendants. Notre époque est caractérisée par la montée des nouvelles formes de travail indépendant sous l’effet du développement de l’économie numérique et des plateformes de rencontre entre offreurs et demandeurs de biens et services. Pour certains, il s’agit de la seule alternative au chômage ou la seule possibilité d’avoir des compléments de ressources.

Pour les auteurs, cette période de changements économiques et culturels profonds, tant pour les entreprises que pour les travailleurs, se vit d’autant plus dans la douleur qu’il n’y a pas de réflexion globale sur les attentes et les besoins de chacun.

Proposition d’une grille d’analyse des situations de travail

Les auteurs proposent 11 critères d’analyse des situations de travail regroupées autour d’un triptyque : liberté, sécurité et dignité. Ils suivent en cela les thèses d’Alain Supiot et, adaptant son idée, ils permettent de réinterroger les attentes et les besoins des travailleurs et des employeurs.

  • La liberté est caractérisée par l’absence de subordination (à un chef qui donne des ordres), l’indépendance économique (par rapport à un seul employeur ou client) et l’autonomie opératoire (liberté de la manière de réaliser la prestation demandée).On voit donc que, malgré leur indépendance formelle, un chauffeur de VTC ou un livreur cycliste sont assez peu libres, sauf – un peu – du choix de leurs horaires de travail.
  • La sécurité peut s’apprécier au niveau de la garantie d’un revenu stable, de l’assurance contre le chômage, de la couverture du risque de maladie (frais médicaux et revenu de substitution), de la garantie d’une retraite et de l’accès au logement.
  • La dignité consiste en la capacité de développer son potentiel et de se former, la participation à un collectif créateur de lien social et le fait d’être au service d’une mission porteuse de sens.

Face à la situation actuelle, les auteurs nous invitent à réinterroger les attentes et besoins des travailleurs et des employeurs autour de ce triptyque. Ils proposent des pistes de réformes ainsi que des dispositifs qui pourraient être adaptés aux besoins et attentes des travailleurs. C’est ainsi que l’Italie, l’Espagne et l’Allemagne ont par exemple créé un statut intermédiaire entre le salariat et le travail indépendant, venant renforcer le niveau de protections sociales et individuelles. Toutefois, ce nouveau statut est une hypothèse largement rejetée dans les différents travaux réalisés en France notamment dans un avis récent du Conseil Economique, Social et Environnemental.

L’ambition de construire des rapports de travail équilibrés

Pour avancer vers des rapports de travail plus équilibrés, les auteurs privilégient des approches à la fois horizontales et verticales.

  • Horizontales, par exemple, en améliorant les statuts existants sur certains critères comme la création de coopératives d’activité et d’emploi qui procurent une assurance contre le chômage, la maladie et la vieillesse.
  • Verticales, en rendant la satisfaction d’un critère indépendante du statut du travailleur. Il s’agit de créer des droits universels comme la couverture maladie universelle. C’est aussi ce que cherche à mettre en place le gouvernement avec une protection universelle contre le chômage.

 En conclusion, pour les auteurs, à trop considérer le travail par le seul prisme de l’emploi, on le réduit à une marchandise et l’on se retrouve dans une impasse. Il est temps de repenser profondément les rapports au travail. On retrouve là l’idée force de travaux récents comme la grande enquête sur le travail réalisée par la CFDT et rendue publique en mars 2017.

 

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