L’image du Qatar se brouille

Depuis quelques mois l’image du Qatar se brouille. D’une certaine fascination nous sommes passés à une désillusion certaine. Des événements comme la condition des expatriés, une justice dépassée, l’évolution de la stratégie de l’Iran et ses conséquences pour les pays du Golfe, viennent compliquer la perception de l’image du Qatar. Quel avenir pour ce pays ?

Troubles

Cette histoire de la coupe du monde de foot 2022 par certains aspects ressemble beaucoup à un piège. La terre entière fait semblant de découvrir le système moyenâgeux des relations sociale dans ce pays. On pourrait croire que dans le Golfe le Qatar est le seul à pratiquer le « sponsorship », or tel n’est pas le cas. Alors pourquoi le Qatar s’attire les foudres de la planète médiatique et syndicale et pas les autres pays ?

Le simple fait de la coupe du monde ne suffit pas à expliquer les réactions actuelles à l’encontre du Qatar. Nous avions attiré l’attention sur la communication générale du Qatar qui dans chaque écrit ou expression utilise des superlatifs absolus engendrant des réactions d’agacements voire de rejets.  Le summum fut atteint lorsque le ministre des affaires étrangères Al Attiya répondant à une provocation saoudienne dit «  un qatari vaut bien une nation toute entière », quelle insulte pour les autres pays.

L’émir Tamim dés son premier discours insista lourdement sur les valeurs traditionnelles du Qatar et le mot « modestie » fut employé à plusieurs reprises. Début novembre lorsqu’il s’est adressé au pouvoir politique qatari il a de nouveau insisté sur un comportement exemplaire de ceux qui font l’image du Qatar. Chacun se souvient de la passation de pouvoir lorsque l’émir Hamad père de Tamim exhorta la population qatarie « à préserver nos valeurs traditionnelles et culturelles civilisés, en provenance de notre religion, l’identité arabe et surtout notre humanité, car nous croyons que le Monde Arabe est un corps humain; une structure cohérente, elle prospère si toutes ses parties sont prospères.

Le Qatar se heurte au problème des intérêts particuliers et de l’intérêt de bâtir une nation. Quelle est cette part que l’on laisse à ce nouvel état jeune qui doit tout bâtir, droit du travail, protections sociale, infrastructures, développement de nouveaux pans de l’économie ? Or même au niveau de clan al Thani, les dirigeants du pays depuis deux cents ans, la transparence n’est pas au rendez vous.

Alors que l’émir Hamad avait annoncé des élections législatives début d’un processus d’un pouvoir plus moderne et partagé, le nouvel émir a reculé à un temps indéfini cette étape nécessaire. Alors que des appels de toutes parts demandent une modification du droit de circulation des travailleurs expatriés et une amélioration de leur vie notamment par le paiement de leur salaire, et une sécurité au travail réel, rien ne bouge. Pire, le ministre du travail s’arque boutant sur un droit théorique qui demeure inapplicable embauche des cabinets d’avocats pour démontrer que les textes actuels sont suffisants. Un enfant un peu observateur pourrait faire le constat que tel n’est pas le cas. Pourquoi l’émir Tamim garde t-il ce type de ministre pour diriger un ministère aussi sensible ?

Et que dire de la justice ? Parodie permanente que personne n’ose déranger pour ne pas affronter le représentant d’une des plus grandes familles du Qatar le procureur général Ali bin Fetais al Marri. L’émir lui-même n’a pas osé l’interpeller pour qu’il modernise la justice du Qatar. C’est un des points qui accentue la dégradation de l’image en externe et qui aura à terme des conséquences sur la notation du Qatar au niveau international.

C’est le même al Marri qui en matière d’éducation nationale tire le pays en arrière le conduisant à revoir certains manuels scolaires niant la réalité du monde. On ne protège pas la jeunesse qatarie en lui cachant l’information et puis les envoyant dans des écoles internationales où ils sont livrés à eux-mêmes. La maturité s’acquière tout le long de sa vie pas seulement à partir de 18 ou 20 ans. Monsieur al Marri on vente votre intelligence, mais j’ai le regret de vous dire que vous ne la mettez pas au service de votre pays.

On peut s’interroger aussi sur la stratégie de l’émir Tamim en matière de sécurité nationale. Un débat est ouvert pour rendre obligatoire le service militaire pour 4 mois. C’est en partie une réponse à l’armée de mercenaires dont dispose le Qatar. Tout en sachant qu’il fallait dans cette affaire mobiliser tous les jeunes du Qatar jeunes hommes mais aussi jeunes femmes. Lorsque la population d’un pays ne dépasse pas 300 000 habitants il faut mobiliser toute la jeunesse de son pays si on veut demain assurer la sécurité de la nation, des enfants et des anciens du pays. L’émir ferait là un premier pas vers l’idée d’un printemps arabe qatari.

Puisque Tamim général des armées est devenu « le conducteur suprême » il continue à mettre en place l’achat d’un armement digne d’une nation, de 20 ou 30 millions d’habitants, sans aucune protection. Alors que l’armée américaine occupe un quart de son territoire pour le protéger pourquoi à-t-il besoin de plus de 200 chars et de 70 avions dernier cri et tout leur attirail. A-t-il décidé de s’en servir ? Pense t-il que les américains fermeront bientôt leur base ? Le service militaire obligatoire servira-t-il à sélectionner ces futurs militaires de carrières ? Et puis le pays peut-il se payer le luxe d’un tel armement ?

Pourtant toujours dans son discours devant les autorités politiques du Qatar début novembre l’émir Tamim avait indiqué clairement que la croissance du Qatar atterrissait lentement. Il apporte ainsi une première réponse. Le récent accord sur le nucléaire entre l’Iran et les grandes puissances mondiales peut venir compliquer l’équilibre politique mais aussi économique des pays du Golfe. Alors l’émir aura-t-il le courage de redimensionner ces nombreux investissements et renoncer à la Coupe du monde de foot ?

Tout porte à croire pour l’instant qu’il va continuer à prendre le risque de miser beaucoup sur « le foot » ce qui pour beaucoup d’économistes contribue aussi à augmenter le brouillage de l’image du Qatar.