Une chance pour l’agriculture indienne, publication OCDE

L’Inde est confrontée à un triple enjeu : mettre à la disposition d’une population croissante des aliments sûrs et nutritifs à des prix abordables ; assurer un moyen de subsistance aux agriculteurs et aux autres acteurs de la filière alimentaire ; et remédier aux graves pressions qui pèsent sur les ressources et le climat.

L’Inde, comme d’autres pays, devra réorienter sa politique

Depuis le milieu des années 1990, l’Inde a accru son PIB par habitant de plus de 5 % par an, divisé par deux l’incidence de la pauvreté et notablement réduit la sous-alimentation. Elle fait partie des économies du G20 qui croissent le plus vite, en grande partie sous l’effet du programme de réformes lancé en 2014. Entrée dans le club des grands exportateurs de plusieurs produits agricoles de base, elle diversifie par ailleurs sa production, privilégiant les légumineuses, les fruits, les légumes et les produits d’élevage, à la valeur élevée.

Le secteur a nettement progressé, mais beaucoup de petits exploitants ne sont pas en mesure d’exploiter les opportunités qui s’offrent à eux : ils sont encore pénalisés par une productivité modeste, le sous-développement du secteur de la transformation des produits alimentaires et du commerce de détail, et la dégradation des ressources en eau et de l’environnement. En fait, comme d’autres pays, l’Inde est confrontée à un triple enjeu : mettre à la disposition d’une population croissante des aliments sûrs et nutritifs à des prix abordables ; assurer un moyen de subsistance aux agriculteurs et aux autres acteurs de la filière alimentaire ; et remédier aux graves pressions qui pèsent sur les ressources et le climat.

Ces dernières décennies, la politique agricole de l’Inde a visé à assurer le bien-être des agriculteurs et des consommateurs. Environ 80 % des pauvres du pays habitent les zones rurales, et il est fondamental de remédier à la pauvreté généralisée et d’assurer la sécurité alimentaire intérieure. Cependant, l’action menée pour atteindre ces objectifs a été conçue et mise en œuvre de telle manière que son efficacité en a été limitée.

D’une part, les restrictions découlant de la réglementation du commerce agricole, ajoutées à celles qui freinent les exportations de plusieurs produits, pèsent sur les prix : depuis une vingtaine d’années, les agriculteurs indiens vendent la plupart de leurs produits à des prix inférieurs à ceux des marchés internationaux.

D’autre part, des intrants agricoles comme les engrais, l’électricité et l’eau d’irrigation bénéficient de subventions considérables. Conjuguées, ces politiques internes et commerciales auraient réduit le revenu agricole indien de 5.7 % ces trois dernières années, soit une « taxation implicite » de quelque 1 700 milliards INR par an, comme l’indiquent l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et le Conseil indien de recherche sur les relations économiques internationales (ICRIER) dans les publications Agricultural Policies in India 2018 et Politiques agricoles : suivi et évaluation 2019.

Parallèlement, le financement des services publics — comme les infrastructures physiques, les activités d’inspection, la recherche développement, l’enseignement et la formation —, qui sont indispensables à la productivité et à la durabilité du secteur sur le long terme, n’a pas suivi.

Le gouvernement indien s’est fixé des objectifs ambitieux dans le secteur, notamment doubler le revenu des agriculteurs d’ici 2022. Que peuvent faire les autorités (fédérales et dans les États) pour accroître la productivité et la durabilité de l’agriculture et offrir des débouchés rémunérateurs aux ménages agricoles ?

Ashok Gulati a récemment écrit un article sur l’évolution de la politique agricole en Chine, dont il tire des leçons applicables en Inde. Les réformes de la politique agricole commune (PAC) de l’Union européenne (UE) depuis le début des années 1990 peuvent aussi apporter des éclairages utiles. Elles se sont traduites par une diminution graduelle, mais constante, de la régulation des marchés et de la protection aux frontières, et, en compensation, par la création de paiements directs au profit des producteurs. A l’origine, ces paiements étaient fonction des superficies cultivées ou du nombre d’animaux, puis ils ont été de plus en plus dissociés de la production. Ces 15 dernières années, la proportion du revenu agricole imputable au soutien lié à la production est passée de 30 % à 9 %, alors que celle qui est due aux paiements compensatoires, nulle au départ, s’est hissée à 8 %. Les producteurs ont désormais davantage de latitude pour prendre en compte la demande des marchés dans leurs décisions de production et leurs décisions commerciales, indépendamment des interventions publiques. Les paiements ont ensuite été adaptés pour répondre aux besoins spécifiques de certaines catégories d’agriculteurs ou régions, et leur versement a été subordonné à des conditions de façon à assurer une utilisation durable des ressources.

Les subventions aux intrants ont été réduites et, lorsqu’elles existent encore, elles s’accompagnent de contraintes écologiques qui restreignent les pratiques agricoles. En outre, de nouveaux paiements sont accordés aux agriculteurs qui assurent des services environnementaux jugés précieux, comme la préservation de la biodiversité. Aujourd’hui, près de 50 % du soutien aux producteurs sont subordonnés à des contraintes environnementales obligatoires, et 10 % supplémentaires sont destinés à des dispositifs agroenvironnementaux volontaires prévoyant des conditions qui vont au-delà des impératifs minimaux. Il existe aussi un soutien pour accompagner l’ajustement structurel, améliorer la compétitivité du secteur et favoriser le développement rural (pour faciliter la diversification des activités, par exemple). Il est important de noter que l’investissement de l’UE dans la recherche et l’innovation agricoles s’est considérablement accru ces dernières années.

Dans l’UE et ailleurs, l’expérience montre que la persévérance est payante. Cela dit, comme dans l’UE, la diversité des régions et des systèmes agricoles, en Inde, fait qu’une seule réforme ou un seul changement technologique ne suffiront pas pour atteindre les objectifs nationaux. Mais la refonte de la réglementation du commerce agricole et la mise en œuvre de paiements directs de soutien, si nécessaires, peuvent prendre appui sur de grandes initiatives d’ores et déjà en cours, comme le marché agricole national électronique (eNAM), la loi sur la commercialisation de 2017 et le système de transferts monétaires directs aux petits exploitants, récemment mis en service.

Il faudrait faire plus et c’est possible. Limitées, les ressources financières devraient être orientées vers les investissements dans les services publics propices à un secteur agricole et alimentaire productif, durable et résilient. Dans cette optique, il conviendrait de renforcer le cadre institutionnel : supprimer les doublons et la fragmentation est une condition préalable à l’élaboration et à la mise en œuvre, en bon ordre, de panoplies de mesures cohérentes.

Pour atteindre les objectifs de développement durable et répondre au « triple enjeu » décrit plus haut, l’Inde, comme d’autres pays, devra réorienter sa politique. Elle a déjà montré qu’elle était capable d’obtenir une croissance élevée et de réduire notablement la pauvreté. Avec les incitations qui conviennent, son système agricole et alimentaire peut devenir plus efficace, au bénéfice de tous.

Publié par Ken Ash et Silvia Sorescu le 15-7-2019