La deuxième indépendance du Qatar

Un écrit du rédacteur en chef du Gulf Times, Faisal Abdulhameed Al-Mudahka, montre l’état du Qatar en ce début 2018. Peut-on parler réellement de deuxième indépendance ?

Le double jeu du Qatar

Les autorités qatariennes ont probablement raison d’essayer de rassurer les populations diverses qui composent ce petit état du Golfe persique de 300 000 qataris et 2,3 millions d’étrangers. La crise déclenchée le 5 juin 2017 par l’Arabie saoudite, Bahreïn, les Emirats arabes unis et l’Egypte  contre le Qatar n’est que le résultat de nombreux incidents et exaspérations dont certaines remontent aux années 1971, au moment où le Qatar a refusé d’être un des émirats qui se sont réunis pour constituer les Emirats arabes unis. Voire, à la prise de pouvoir de Hamad bin Khalifa al Thani en 1995 lorsqu’il a destitué son père pour appliquer une politique plus avant-gardiste et surtout plus intrusive dans les autres pays du Golfe et au-delà. Mais aussi, il est certain que ce qu’on a appelé «  les printemps arabes » ressemblait fort, de la part du Qatar et de son outil de communication Al Jazeera, à une quête pour prendre le leadership au Moyen Orient et dans le Nord de l’Afrique. Enfin, ces dernières années les incidents se sont multipliés des deux côtes montrant les limites du vivre ensemble notamment au sein du CCG, chacun se souvient du rappel des ambassadeurs de plusieurs pays voisins du Qatar. Les engagements mis en place par l’émir Tamim lui-même n’ont jamais réellement été tenus, disent maintenant les boycotteurs du Qatar, détruisant ainsi le peu de confiance entre pays de culture semblable et vivant dans un espace réduit. L’accord militaire entre le Qatar et la Turquie a mis à jour un étonnant double jeu des autorités qatariennes.

Un boycott partiel

Tout portait à croire qu’un accident grave allait se produire. Dans cette poudrière, un pyromane, en la personne du président des USA, a craqué l’allumette qui a mis le feu, en invitant le Qatar à cesser « immédiatement » tout financement aux groupes extrémistes ou terroristes. Venant ainsi appuyer une des revendications phare du quartet qui a entrepris de cesser depuis quelques temps de financer les groupes extrémistes.  Apparemment l’accord du 10 juillet 2017 entre les américains et le Qatar, pour lutter contre le financement de l’extrémisme et le terrorisme, s’il a eu pour effet de faire taire Donald Trump, le président américain, il n’a pas convaincu le quartet et le boycott partiel du Qatar continue depuis 211 jours.

Si nous parlons dans nos écrits de boycott partiel, c’est que les exportations d’hydrocarbures qatariennes et les autres exportations en générale, n’ont pas été touchées. Le Qatar a mis en place de nouveaux approvisionnements pour faire face en particulier aux arrivées en provenance de la frontière terrestre avec l’Arabie saoudite et les ports des Emirats arabes unis. Le Sultanat d’Oman s’est transformé en base avancée de Doha et en quelques mois le Qatar est en voie de rétablir la totalité de ses approvisionnements. Il est vrai que la mise en service du port Hamad est tombée à pic.

Le Qatar intérieur

Pour ce qui concerne la politique interne au Qatar, le rédacteur en chef du Gulf Times ne manque d’humour, faisant une liste impressionnante d’avancées politiques et sociales, l’observation de ce pays depuis avril 2013 nous incite à la plus grande prudence quant à ses réalisations. Dire que le statut des expatriés s’améliore sensiblement montre à quel point Faisal Abdulhameed Al-Mudahka est déconnecté de la réalité ou alors son propos est volontaire. La difficulté à recruter dans des points sensibles du Qatar démontre que les expatriés ne sont pas dupes. Il en est de même pour les petits entrepreneurs étrangers qui prennent conscience qu’il existe au Qatar des « pilleurs d’entreprises », sans doute un reste de la culture qatarienne du temps où ses habitants pillaient les bateaux de passage au large de leurs côtes.

Le point d’humour le plus impressionnant est sans doute les élections probables à la Shura, ce que nous occidentaux appelons, élections législatives. Nous verrons qui sera réellement élu, car sans l’existence de partis politiques ou associations politiques, il est possible qu’on assiste à une désignation déguisée. Peut-il en être autrement quand on voit le comportement des autorités qatariennes sur des sujets de la vie courante, sur le Qatar intérieur ?

Comment peut-on nous faire croire que le Qatar ouvre un véritable statut aux expatriés résidents, parfois depuis longtemps dans le pays, alors que cet état ne reconnait pas ses propres enfants. Les femmes qatariennes ayant un enfant avec un étranger, avec lequel elles se sont mariées, n’auront pas la nationalité qatarie.  Il en est de même pour les évolutions du droit du travail qui évoluent à la vitesse d’un escargot, même si l’OIT s’est engagée à cogérer la situation avec les autorités qatariennes. Quant aux droits de l’homme, le rédacteur en chef du Gulf Times ne manque pas de culot en prétendant que tout est réglé. Allez demander aux milliers d’individus qui sont dans les prisons qatariennes, comme par exemple, Marongiu ou Nash ou telle femme qui a eu le malheur d’avoir un enfant hors mariage, quel est leur point de vue.

Je démarre ma vie en prison mais avec ma maman

Cet article sur la deuxième indépendance du Qatar n’est que de la poudre aux yeux. L’auteur, timidement, reconnait que le Qatar a été atteint par cette crise, le problème n’est plus vraiment là, puisque son pays en changeant de fournisseurs va résoudre ce boycott partiel. La véritable difficulté pour le Qatar est qu’il se met progressivement sous la tutelle de la Turquie et de son président Erdogan pour échapper à un compromis avec ses voisins. Ceci confirme d’ailleurs le fond de cette crise, la politique étrangère du Qatar et son implication dans la vie des autres pays  voisins ou parfois éloignés. L’axe Doha, Ankara, Téheran qui se vérifie chaque jour un peu plus montre bien la réelle volonté du Qatar et son double jeu enfantin.

Le peuple qatarien et les expatriés finiront à terme par se fatiguer des volontés d’ingérences, de conquêtes et de surarmement des dirigeants qatariens. Ces détournements de la vie économique qui se font au détriment des populations de ce pays finiront par déstabiliser le Qatar intérieur qui souffre des choix imposés par le petit commando qui dirige le pays.