Le voyage d’Erdogan dans le Golfe est à la limite de la provocation

En choisissant d’une manière formelle son camp et en vivifiant l’axe Ankara – Doha, le président turc ne peut plus être un médiateur. Plus grave, combien de temps encore les saoudiens supporteront la vision « sunnite politique » d’Erdogan ?

Les profondes divergences entre la Turquie et l’Arabie saoudite

Le Secrétaire d ‘Etat US Rex Tillerson avait au moins une porte de sortie en allant 4 jours dans le Golfe pour tenter une médiation. Il savait que l’échec était plus que probable, c’est pour cela qu’il eut la bonne idée de faire signer au Qatar un accord sur la lutte contre toutes formes de terrorisme. Quant à Recep Tayyip Erdogan, il voudrait bien être celui qui pourra ramener la paix dans le Golfe, c’est donc un voyage diplomatique présenté par le pouvoir turc comme une contribution du pays pour ramener tous les acteurs autour d’une même table.

Or, en choisissant d’une manière formelle son camp et en vivifiant l’axe Ankara – Doha, le président turc ne peut plus être un médiateur. Ceci il le sait et pourtant, il se rend deux jours en Arabie saoudite, au Koweït et probablement à Doha. Un de nos lecteurs avec qui je discutais me disait hier, « le voyage d’Erdogan dans le Golfe est à la limite de la provocation. » Si le média RFI soutien la possibilité « que le voyage de Recep Tayyip Erdogan est donc peut-être davantage à usage interne, pour donner au président turc une posture de leader régional,» ce voyage peut être aussi vu comme l’affirmation en face à face d’un soutien sans faille au Qatar. Erodgan maîtrise la limite entre la provocation et le fait de passer son pied pour que la porte ne se referme pas.

Cette crise qui dure depuis le 5 juin 2017 est une véritable opportunité pour le président turc qui si en interne étouffe son pays et en externe est incapable de se dépêtrer des difficultés qu’il a créé avec l’Allemagne, cherche désespéramment à paraître comme un grand homme d’état. La difficulté qu’il a avec les saoudiens, c’est qu’il n’a aucune marge, même pas celle de clore sa base au Qatar, car ce pays en a fortement besoin compte  tenu de l’attitude impardonnable des américains.

Plus grave, combien de temps encore les saoudiens supporteront la vision « sunnite politique » d’Erdogan ?

Chacun s’est aperçu que la thématique autour du terrorisme n’était pas le sujet majeur de la crise qui oppose l’Arabie saoudite, Bahreïn, les Emirats arabes unis et l’Egypte au Qatar. C’est bien le débat qui ne s’est pas terminé autour de la place de « islam dans la politique » qui est derrière cette crise. Le feu des « printemps arabes » est loin d’être définitivement éteint, il peut repartir à tout moment, si on laisse le Qatar reprendre le leadership de la zone MENA avec comme allié la Turquie. Les accords au sein du CCG de 2013 et 2014 avaient comme objectif de mettre un sarcophage sur tout envie de réalimenter ce vent de révolte. Mais le Qatar, tout en pliant le dos, n’a rien fait pour respecter ces accords. Bien au contraire, il s’est rapproché d’urgence de la Turquie. En somme, en plus de ce débat essentiel pour l’avenir du « sunnisme », l’autre élément explosif qui est tombé dans le chaudron du Moyen Orient c’est le renforcement de l’axe Ankara – Doha avec son potentiel d’alliances comme Téhéran ou Moscou.

Il ne manquait plus qu’un pyromane pour être l’étincelle qui met le feu aux poudres. Pour cela il suffisait d’inviter Donald Trump à Ryad, en l’appâtant avec d’énormes contrats qui mettront un « certain temps » avant leurs mises en ouvres, et comme prévu, l’incendie éclatât. Le président Trump n’a été qu’un élément d’un puzzle préparé d’avance dont l’objectif final est bien de briser l’axe Ankara – Doha.

Les saoudiens ont juré de ne plus vivre l’ambiance des « printemps arabes » ni au Moyen Orient, ni dans la zone Mena, ni même dans la corne de l’Afrique. Ils vont écouter par courtoisie Recep Tayyip Erdogan, mais ils savent qu’il est encore plus dangereux que Tamim bin Hamad al Thani qui a certes des dollars mais aucune troupe.

La visite d’Erdogan en Arabie saoudite n’a aucune chance de ramener la paix dans cette zone, elle pourrait même être vécue par la bande des 4 comme une véritable provocation.