Qatar le 18 mars 2015

Le point mensuel sur les grands sujets à propos du Qatar. Economie, Politique, Affaires étrangères sont au menu de ce post. Le Qatar à la recherche permanente d’alliés dans un Moyen Orient en fusion.

 

Le rendez-vous du mois de mars 2015

L’objet de ce rendez-vous mensuel est de prendre du recul sur nos messages journaliers. Depuis le début de 2015 de nombreux évènements se succèdent, l’objectif est d’essayer de les lier entre eux pour percevoir une image du Qatar la plus près possible du réel.

Un certain nombre de medias relèvent la forte croissance annoncée pour les prochaines années au Qatar. Cette croissance qatarienne repose en grande partie sur les travaux d’infrastructures et Coupe du monde de football 2022. En tout cas, malgré cette croissance élevée, dépassant les 7 %, elle ne comblera pas les dépenses envisagées par l’Etat du Qatar. Depuis 1999 c’est la première année où le budget du Qatar sera en léger déficit, environ 2,2 %. Considérant les réserves actuelles du Qatar ceci ne devrait pas porter préjudice, comme l’indiquait le premier ministre, les travaux en cours se feront, nous rajoutons, mais des travaux risquent d’être reportés d’une année sur l’autre.

Il faudra toute la vigilance de l’émir et du premier ministre du Qatar pour que les dérapages ne soient pas comme par le passé hors contrôle. En effet, même si le budget de l’état du Qatar avait intégré un baril de pétrole aux alentours de 60 $, la chute importante des prix a un impact sur le prix du gaz, élément essentiel des revenus qatariens, celui-ci étant calculé principalement à partir d’un pourcentage du Brent. Une autre information qui nous est parvenue ces dernières heures fera l’objet d’une étude approfondie lors de prochains rendez-vous, c’est le fait que l’Iran qui partage un énorme gisement de gaz avec le Qatar, va développer l’extraction de celui-ci d’une manière plus importante, avec une double conséquence sur l’épuisement des stocks et une influence sur les prix en inondant le marché.

Tamim et Obama

En matière politique, on peut noter les nombreux voyages à l’étranger de l’émir Tamim aussi bien en Asie qu’aux USA. C’est ce déplacement qui a été particulièrement préparé tant dans les médias que par son contenu politique. Afin de cadrer la rencontre avec Obama, l’émir du Qatar Tamim al-Thani a préféré s’exprimer par un message dans les colonnes du New York Times. Moins à l’aise qu’Obama dans les conférences de presses, le staff autour de l’émir a pris la précaution d’écrire l’essentiel du propos que l’émir a délivré à Obama. Un point particulier a attiré notre attention. C’est la vision de l’émir du Qatar concernant les causes profondes du terrorisme qui sévit au Moyen Orient et dans le monde. Pour l’émir Thamim al Thani, les balles et les bombes seules ne suffiront pas à gagner la guerre contre le terrorisme. Il faut s’attaquer aux causes profondes qui le génèrent, en mettant en place un plan à long terme dans une approche stratégique. Pour l’émir al Thani le terreau de ce terrorisme est le désespoir et non l’islam. Un désespoir qui règne dans la déstabilisation du Moyen Orient mais aussi dans les quartiers pauvres des grandes villes d’Europe, et même aux États-Unis.

Ce texte permet de mieux comprendre la stratégie du Qatar, qui est convaincu de l’échec de la suite donnée à la chute de Saddam Hussein en 2003, et aussi du sort réservé aux sunnites d’Irak, ce sont directement les USA et Obama qui en prennent pour leur grade. L’émir souligne les tentatives cyniques d’approfondir et d’exploiter le fossé entre sunnites et chiites à des fins politiques, mais qui vise-t-il en particulier, il serait intéressant de le savoir. Et enfin il rappelle l’esprit des valeurs du printemps arabe et met en cause une communauté internationale qui est restée les bras croisés. Un texte d’une rare violence intellectuelle auquel Obama n’a pas répondu directement préférant dans un premier temps consolider les rapports entre les deux pays et même allant jusqu’à louer l’effort du Qatar pour combattre Daesh. La réponse est venue par le secrétaire d’Etat John Kerry, les USA ont officialisé indirectement les « rapports » avec la Syrie et Bachar el-Assad n’est plus la pierre d’achoppement pour une sortie de crise. C’est un signal important délivré au Qatar et à ses alliés de circonstances comme la France par exemple en pointe du combat contre le dictateur syrien.

En matière de politique étrangère, depuis quelques semaines, le Qatar ne craint plus de montrer publiquement son implication dans d’autres pays du Moyen Orient. L’administration Obama a donné son aval et comme pour le passé « soustraite » un certain nombre d’initiatives au Qatar. L’affaire de la récupération d’une partie du Front al Nosra est une de ces actions concrètes. A ce jour le Front al-Nosra est classé parmi les groupes terroristes par l’ONU, les USA et l’Europe, on laisse donc le Qatar se brûler les ailes, mais ce pays sait qu’il ne risque rien sur cette action. Ceux qui pensaient que le Qatar était revenu dans ses terres, abandonnant toute idée de s’immiscer dans les affaires des autres vont être déçus. Non le Qatar n’a pas changé, il est plus malin qu’avant.

Si le premier ministre du Qatar s’occupe avec le gouvernement des affaires internes du pays, l’émir, le ministre des affaires étrangères et une équipe ultra réduite, gère la partie cachée de « l’iceberg » des affaires étrangères qataries. Comme nous l’avons indiqué à plusieurs reprises, l’émir Tamim est un fin connaisseur de tout ce qui se passe au Moyen Orient. Du temps de son père, l’émir Hamad, il était informé et participait, au nom de son père à toutes les rencontres, échanges d’informations et autres. Il a pensé donc être capable de « débaucher » le Front al-Nosra. Mais la principale force d’opposition à Bachar el-Assad, le Front al-Nosra, dirigée par Abou Mohammad al-Joulani, veut jouer son propre jeu, ce qui promet des lendemains compliqués pour les autres forces d’opposition déjà en triste état. L’opération de débauchage par le Qatar n’aura pas réussie. En rappelant son attachement à al-Qaïda, le Front al-Nosra met fin à l’ambiguïté crée par le Qatar. A la grande majorité, ses troupes souhaitent rester affiliées au groupe terroriste al-Qaida. En outre, ils estiment que leur intérêt est de ne pas rentrer en conflit avec l’Organisation de l’Etat islamique. On comprend mieux les frappes de la coalition, USA en tête qui ont fait d’immenses dégâts parmi les raisonnables du Front al-Nosra. Cet échec isole un peu plus la vision du Qatar au Moyen Orient.

Le Qatar même s’il a retrouvé en apparence quelques liens avec les autres monarchies du Golfe, sait parfaitement que ses intérêts divergent avec notamment l’Arabie saoudite et les Emirats Arabes Unis. Et que dire des « rapprochements » avec l’Egypte exigés par l’Arabie saoudite ? C’est carrément mission impossible, car le général président de l’Egypte, al Sissi, ne manque pas une occasion d’humilier publiquement le Qatar et n’hésite plus à intervenir en Lybie, chasse gardée partielle du Qatar. Le procès de l’ancien président Morsi notamment pour avoir délivré « des secrets d’état au Qatar » montre l’étendue des dégâts entre ces deux pays. Adieu l’axe Qatar, Egypte, Turquie qui en plus des frères musulmans aurait pu mettre au pas y compris l’Arabie saoudite et les Emirats Arabes Unis.

Faut-il s’entonner que le Qatar de plus en plus isolé, malgré les apparences, conforte son alliance sous toutes ses formes avec la Turquie ?

Tamim et Erdogan 001

La création d’un Comité Stratégique Suprême entre le Qatar et la Turquie le lendemain de la fête nationale à Qatar est bien plus qu’un symbole, c’est une alliance. Le Qatar veut défaire la corde qu’il a été obligé de se mettre autour du  cou en signant un accord d’entente avec les autres pays du Golfe. C’est dans son palais de « Sultan » que le président Recep Tayyib Erdogan a reçu l’émir du Qatar, Tamim al-Thani, le 19 décembre 2014. Au lendemain de la fête nationale l’émir n’était pas en weekend prolongé, mais signait un important accord instituant un Comité Stratégique Suprême entre le Qatar et la Turquie.

Le comité sera chargé de la coopération dans les domaines de la politique, l’économie, le commerce, l’investissement, l’éducation, la culture, la science, la technologie, l’énergie, l’agriculture et les communications. Pour la partie défense un accord particulier a été signé pour montrer l’importance que cela revêt.

Avec la disparition de l’axe Turquie, Egypte, Qatar et la reprise de l’Arabie saoudite de son leadership, la Turquie et le Qatar sont contraints de chercher de nouvelles alliances pour exister. Il parait inimaginable pour l’instant de pouvoir exercer une quelconque influence, pour ces deux états, sur l’Egypte, le pays musulmans le plus important du monde arabe sunnite. La conférence sur le futur de l’Egypte a montré l’absence d’influence du Qatar et de la Turquie.

 Les travaux d'al kuwari aux USA

Alors on comprend mieux le rapprochement qui s’est opéré il y a quelques jours entre la Turquie et la Russie. Comme le développe dans un article « Les clés du Moyen Orient », « Le 1er décembre 2014 s’est conclue, à Ankara, une série d’accords bilatéraux qui pourrait avoir des conséquences de long terme sur la géopolitique du Moyen-Orient : Recep Tayyip Erdogan et son homologue russe Vladimir Poutine ont acté de l’abandon du projet de gazoduc russo-européen dit South Stream et de sa substitution par un nouveau pipeline russo-turc. Cette décision ne doit pas seulement être lue, par excès d’européocentrisme, comme une conséquence des récentes sanctions prises par les Etats occidentaux à l’égard de la Russie. Elle vient également sceller un rapprochement de long terme entre deux Etats aux idéologies et aux intérêts convergents. »

Le jeune émir Tamim al-Thani adore les jeux de stratégie, il a l’art de rebondir au moment où son adversaire le croit revenu dans le rang. Si rien ne presse pour se rapprocher de la Russie mal en point, il y a des opportunités dans la vie qu’il ne faut pas manquer. Il est même capable de faire croire aux américains et européens qu’il « travaille » à ramener Poutine à la raison. Certes des divergences existent entre la Russie et l’axe turco – qatari mais rien n’est insoluble même sur la Syrie. Un Poutine acculé est capable de tout pour ses intérêts. Et puisque la Turquie s’est rapprochée de la Russie, on pourrait appliquer l’adage « les amis de mes amis sont mes amis ». Pour l’instant le Qatar déjà dans le collimateur du Sénat américain marche sur des œufs, mais il a montré sa capacité à franchir les paliers un par un comme, il vient de le faire récemment avec la Chine. Mais aujourd’hui les intérêts des USA et du Qatar sont encore importants. Le Qatar et les USA c’est une histoire de « je t’aime moi non plus » outre la base américaine, ils partagent la même vision sur une force stratégique au Moyen Orient, les Frères musulmans.

Tamin décisions

Les américains depuis des décennies ont des contacts avec les Frères musulmans. Ils ont vu grandir cette force au Moyen Orient et au-delà, en l’accompagnant quelque fois. Ils constatent et dénoncent certaines dérives comme une partie extrémiste qui passe à l’action provoquant en Egypte depuis longtemps des assassinats en représailles d’autres assassinats par les différents leaders ou dictateurs qui ont dirigé ce pays, ou le Hamas qui combat Israël notamment à Gaza… Nonobstant ces dérives, globalement, les américains considèrent jusqu’à ce jour qu’une des solutions possibles pour introduire les bases d’une démocratie dans les pays du Moyen Orient passe par les Frères musulmans, donc pour eux ils ne peuvent être classés comme terroristes. Alors qu’en Europe certains pays, comme l’Angleterre essaie de se forger une opinion et enquête sans parvenir à conclure, en France on préfère lancer l’anathème par fainéantise et pauvreté intellectuelle. Chacun reconnaitra que la guerre ne peut tout régler même si elle est nécessaire contre l’Organisation de l’Etat islamique ou d’autres groupes similaires. Si la réussite de l’expérience égyptienne est un échec, celle de la Tunisie en cours peut faire espérer aux américains qu’avec le temps et en corrigeant les échecs, une solution politique au Moyen Orient reste possible. Les évolutions des rapports entre les USA et l’Iran, l’engagement américain contre l’Organisation de l’Etat islamique en Syrie et en Irak, la volonté de créer un Etat Kurde, le renforcement de Benjamin Netanyahou en Israël à l’issue de la récente élection législative alimentent directement ou indirectement les flammes du Chaudron en ébullition du Moyen Orient. Plus que jamais le Moyen Orient en plein désespoir demeure le centre de tous les terrorismes mondiaux.

Salmane 001

Le rôle de l’Arabie saoudite est plus que jamais primordial dans ce magma en fusion. Le roi Salman sera-til capable de réunir les sunnites du monde entier qui n’ont jamais été aussi divisés ? Arrivera-t-il à parler au reste des musulmans ? Etablira-t-il une passerelle avec les autres croyances ? Sera-t-il un homme de paix qui favorisera la prospérité ? Quelle place donnera-t-il à son premier héritier et au second ? Aura-t-il la force de faire de l’Arabie saoudite un phare qui éclaire à nouveau le monde ? Arrivera-t-il à éteindre les incendies qui se développent ? Sera-t-il aidé par le Qatar ?