
Le cinéma, dès ses débuts, n’est pas seulement divertissement ou industrie : il est aussi un art de penser. En capturant le mouvement, le temps, le regard, il interroge notre perception du monde et nos récits les plus intimes. De nombreux philosophes se sont emparés du 7ᵉ art pour explorer des concepts profonds : le réel, l’imaginaire, l’identité, la violence, la mémoire. Inversement, certains cinéastes développent une véritable pensée du monde à travers leurs œuvres. La philosophie du cinéma est ce dialogue vivant entre image et idée.
« Le cinéma est une pensée qui prend forme, c’est une pensée qui s’écrit en images. » – Gilles Deleuze, L’image-temps
Le cinéma comme dispositif de pensée
À travers ses plans, ses coupes, ses silences, le cinéma articule une réflexion sensible sur l’existence. Il ne se contente pas de « représenter » le réel : il le recrée, le réinvente, le questionne. Stanley Kubrick, Ingmar Bergman, Tarkovski, Agnès Varda ou Terrence Malick ont chacun fait du film une forme philosophique.
Certains genres (science-fiction, drame existentiel, film noir) cristallisent des interrogations sur l’humain, le destin, la société. Ainsi, Blade Runner soulève la question de l’humanité, Her celle de la solitude contemporaine, Persona celle de l’identité fragmentée.
Deleuze et l’image-temps : repenser la pensée par le cinéma
Avec Gilles Deleuze, la philosophie du cinéma prend un tournant conceptuel majeur. Dans L’image-mouvement et L’image-temps, il développe une grammaire philosophique du 7ᵉ art.
- Le cinéma classique (image-mouvement) met en scène l’action, le héros, le récit linéaire.
- Le cinéma moderne (image-temps) brise cette continuité : il explore l’attente, le doute, le hors-champ, la mémoire.
Le cinéma devient alors pensée en acte, capable de saisir l’indécidable, l’impensé, l’entre-deux.
Identité, corps et altérité à l’écran
Le cinéma engage aussi une réflexion sur l’individu :
- Qui suis-je, face au regard de l’autre ?
- Comment le corps à l’écran fait-il résonner nos émotions, nos blessures ?
Des réalisateurs comme Chantal Akerman, Claire Denis ou Lars von Trier explorent la corporéité, la frontière entre soi et l’autre, la souffrance. La caméra devient parfois un œil moral, parfois un miroir déformant — mais toujours une invitation à repenser notre humanité.
Le spectateur : passif, critique ou co-auteur ?
La philosophie s’interroge sur notre place dans le dispositif cinématographique. Sommes-nous manipulés ? Ou le cinéma nous rend-il plus lucides ? Peut-il éveiller un regard critique sur le monde, comme le souhaitait le cinéma militant ou le théâtre brechtien ?
Les théories d’André Bazin, Walter Benjamin ou Jacques Rancière envisagent le spectateur comme acteur du sens, libre d’interpréter, de détourner, de rêver — car toute image appelle à être pensée.
A retenir
Le cinéma ne pense pas sur le monde : il pense avec lui, en lui, par lui. Il nous force à voir autrement, à sentir autrement, à comprendre autrement. Et parfois, comme le dit Godard, il fait surgir la beauté au milieu du désastre. La philosophie du cinéma nous aide ainsi à habiter plus pleinement les images — et à ne pas les laisser penser à notre place.
Lectures recommandées
- Gilles Deleuze, L’image-temps — Une pensée puissante et libre sur la forme cinématographique.
- Jacques Rancière, La fable cinématographique — Une exploration de l’émancipation du spectateur par l’image.
- André Bazin, Qu’est-ce que le cinéma ? — Un des textes fondateurs d’une esthétique réaliste.
- Stanley Cavell, La projection du monde — Une réflexion philosophique sur l’expérience du film au quotidien.
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