
En 2077, alors que la Terre s’effondre sous les crises climatiques et sociales, une partie de l’humanité s’exile sur Mars. C’est dans ce futur proche que Tiago Rodrigues, directeur du Festival d’Avignon, installe « La Distance », une fable interplanétaire bouleversante sur les liens familiaux, la mémoire et l’espoir.
Une dystopie intime
La pièce met en scène Ali, médecin sur Terre, et sa fille Amina, partie sur Mars sans prévenir. Leur seul moyen de communication : des messages vocaux enregistrés une seule fois, envoyés à travers l’espace. Ce dialogue à très très longue distance devient le cœur battant du spectacle, porté par les interprètes Adama Diop et Alison Deschamps, d’une intensité rare.
Le décor, conçu par Fernando Ribeiro, repose sur un plateau tournant symbolisant les deux planètes. À mesure que la scène pivote, les voix se croisent, les silences s’étirent, et le temps devient palpable. La scénographie évoque la rotation des astres, mais aussi celle des émotions : colère, tendresse, incompréhension, espoir.
Mémoire et oubli
Amina fait partie des « oubliants », une communauté envoyée sur Mars pour bâtir une société nouvelle, débarrassée du passé. Elle accepte de s’effacer, de renoncer à ses souvenirs, y compris ceux de son père. Ali, lui, s’accroche à la mémoire, aux albums de famille, aux chansons de la mère disparue. Le texte interroge : peut-on aimer sans mémoire ?
Rodrigues explore ici un conflit générationnel amplifié par la distance cosmique. La jeunesse veut tout recommencer, la vieillesse veut transmettre. Mais au fil des échanges, les deux mondes se rapprochent, et l’amour, même fragmenté, résiste à l’oubli.
Poésie et politique
La pièce est traversée par une poésie discrète, notamment dans les monologues d’Amina, qui évoque Mars comme une terre hostile mais pleine de promesses. Rodrigues glisse aussi une critique des méga-corporations et de la marchandisation du vivant. Le théâtre devient alors un laboratoire du réel, où se rejoue notre rapport au monde et à l’autre.
Un moment suspendu
« La Distance » est un spectacle qui ébranle sans assommer, qui questionne sans asséner. Il nous invite à réfléchir à ce que nous transmettons, à ce que nous choisissons d’oublier, et à ce qui nous relie malgré tout. Dans un monde en ruine, Rodrigues offre une œuvre lumineuse, où l’espoir est un don fragile mais tenace.
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